« Nous sommes la génération Palestine » : Rima Hassan de retour de la flottille
Après plusieurs jours de détention en Israël, Rima Hassan donne son premier entretien à Politis. Arrestation de la Global Sumud Flotilla, emprisonnement… Elle décrit un dispositif humanitaire ciblé et des violences dans un contexte d’apartheid. La députée européenne appelle aussi à continuer les mobilisations.

© Maxime Sirvins
Députée européenne franco-palestinienne et militante des droits des réfugiés, Rima Hassan revient d’une mission maritime stoppée par Israël. Elle décrit une action humanitaire portée par des civils, les scènes d’arrestation et les violences rapportées par plusieurs passagers. Elle replace son témoignage dans une histoire plus large : exil palestinien, bataille des récits et rôle des États européens.
Vous étiez sur la « Global Sumud Flotilla » la semaine dernière avant d’être arraisonnés en mer par Israël. Quel était le projet derrière cette flottille et les précédentes ?
Il y a un projet qui continue depuis la création des flottilles pour briser et dénoncer le blocus à Gaza puisque la situation y est dramatique. Il y a aussi une dimension qui s’est ajoutée sur les dernières flottilles, c’est l’acheminement de l’aide humanitaire qui était beaucoup plus au cœur de cette action. Je crois que le plan idéal, serait que des États négocient avec Israël pour pouvoir laisser la flottille acheminer l’aide humanitaire avant de nous laisser partir. Il n’a jamais été question de rester à Gaza ou de créer un quelconque désordre.
Cette guerre passe aussi par les images. Vous n’avez pas peur que l’attention médiatique se porte plus sur les flottilles que sur les conditions de survie à Gaza ?
C’est un vrai sujet, et nous avons eu des discussions à ce sujet lors de la traversée. Je pense que c’est vraiment la responsabilité de chacun et de chacune. Malheureusement, le contexte fait que nous étions obligés de passer par une communication très personnalisée et très spontanée. Je fais référence, par exemple, aux attaques par drone qu’il y a eu, où nous avons été obligés de se saisir de nos smartphones pour filmer, documenter et témoigner. Mais il faut toujours resituer sa condition et son témoignage par rapport aux récits du peuple palestinien. Ce qu’on a vécu dans les prisons de Negev, ça n’est rien par rapport à ce que vivent les 11 000 prisonniers palestiniens.
Justement, on a vu les images des abordages par les forces israéliennes. Est-ce que vous pouvez nous raconter l’arrestation et la détention ?
Déjà, ce que je trouve très problématique, c’est qu’on a quasiment normalisé ces images alors qu’elles constituent de fait un kidnapping, une violation du droit international et une mise en péril notre sécurité. Sur mon bateau, les soldats qui nous ont arrêté n’ont pas été violents à notre égard. Mais d’après les témoignages que nous avons eus, des gens ont été malmenés, frappés, battus, insultés sur certains bateaux.
Il y a vraiment eu recours à ce qu’on pourrait appeler des mécanismes de torture psychologique.
Ça a été autre chose à notre arrivée au port de Ashdod où là, nous avons subi des violences de la part des policiers. Il y a vraiment eu recours à ce qu’on pourrait appeler des mécanismes de torture psychologique. Il y a des dizaines de témoignages, y compris celui de Greta Thunberg, sur des violences qui ont été infligées : physiques, psychologiques et également énormément d’insultes. Pour ma part, ça a été des gifles par deux policiers au moment de me jeter dans le fourgon.
Est-ce que vous diriez que le fait d’être une femme arabe joue un rôle dans la manière dont les autorités israéliennes se sont comportées avec vous ?
Oui, bien sûr. Même si je nuance, puisque nous avons aussi des témoignages de femmes occidentales qui ont été violentées. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un biais des autorités israéliennes sur les personnes qui sont d’origine arabe, qui sont davantage perçues comme une menace. La violence contre ces personnes est plus forte.
Ce qui était intéressant, c’était de voir comment les mécanismes de l’apartheid israélien, qui sont largement documentés, se transposaient sur les populations d’origine arabo-musulmane de la flottille, même si encore une fois les occidentaux et les européens ont également subi des violences. Ce sont toutes ces petites choses cumulées qui font de l’état d’Israël un état fondamentalement raciste et structurellement violent sur la question palestinienne et ses soutiens.
Vous êtes élue européenne, militante pour les droits des réfugiés et vous-même palestinienne. Comment ces différentes identités ont-elles influencées votre expérience lors de l’action de la flottille ?
Ce qui a été déterminant dans mon parcours, ça a vraiment été la question de l’exil et du déracinement. Ce qui a été particulier pour moi, c’est que l’idée d’avoir accès à ma terre était enfin quelque chose de tangible et de concret, même si je ne faisais pas l’illusion. Quand je suis rentrée en France, j’ai vraiment eu une tristesse d’être partie en plus d’un soulagement évident.
Au cœur de tout cela, il y avait ma palestinité, celle d’une Palestinienne de l’extérieur, déracinée avec sa famille depuis très longtemps.
Ce qui a été différent, bien sûr, par rapport à mes camarades, c’est le fait que je sois aussi palestinienne. C’était une expérience très intime pour moi. II y avait quelque chose de moi à moi-même. Ce sont vraiment tous ces éléments qui se sont entremêlés : la question de l’exil, celle de la mer comme lieu de résistance, de mobilisation et de liberté, en pensant aussi à tout ce qu’il se passe dans cette mer Méditerranée, qui est devenue aussi un cimetière. Et au cœur de tout cela, il y avait ma palestinité, celle d’une Palestinienne de l’extérieur, déracinée avec sa famille depuis très longtemps.
On voit dans beaucoup de pays que la mobilisation populaire est massive, même en Italie, alors que le pays est dirigé par l’extrême droite. Comment expliquez-vous le fait que ce ne soit pas pareil en France ?
Je pense qu’en Italie, il y a quand même un regain de contestation plus large. La question palestinienne est devenue un peu l’épicentre des mouvements contestataires à gauche. Ce que je trouve intéressant, c’est que ce qu’il se passe en Italie n’est pas très loin du mouvement Bloquons-tout en France. Sur une grande majorité des images des blocages qu’il y a pu y avoir en France, il y avait très souvent un drapeau palestinien.
Pour moi, c’est que la mobilisation prend une forme différente en France. Il y a un terreau qui est tout aussi fort et puissant sur la mobilisation pour la Palestine. Mais on est peut-être aussi plus réprimés. Je pense que la répression en France, depuis les Gilets jaunes notamment, a dissuadé aussi beaucoup de gens de participer à ce type d’actions. Ça a été aussi le cas avec les mouvements étudiants. C’est assez inédit. Depuis Mai 68, on n’avait pas laissé entrer les forces de l’ordre dans les facs. Cette répression-là, je pense qu’elle étouffe aussi ces initiatives.
En Espagne justement, le Premier ministre a apporté son soutien aux manifestations. Les députés ont aussi voté un embargo sur l’exportation d’armes en Israël. Pensez-vous que de telles prises de position de la part de chefs de gouvernement européens peuvent avoir un réel impact ?
Bien sûr. Il était clair qu’il fallait absolument impulser un embargo sur les armes à destination d’Israël. Même si l’Espagne est souvent présentée comme un pays avant-gardiste, progressiste sur la question, c’est le minimum en réalité. C’est ce que devraient faire tous les États. Maintenant, c’est bien qu’on ait un pays qui ait le courage d’y aller. Il y a des moments où on a besoin, sur des moments historiques, d’avoir des États qui donnent un peu le ton et qui ouvre une voie. Un des leviers qui existent aujourd’hui pour s’assurer de ne pas aider matériellement un État qui commet des agressions, c’est de ne plus livrer d’armes.
Après l’annonce, ce 9 octobre, de la fin des combats dans l’enclave palestinienne et de la libération prochaine des otages, quelle est votre première réaction ?
On peut se réjouir que les bombes s’arrêtent. Mais comment les palestiniens vont survivre au-delà de ce cessez-le-feu ? Je reste très méfiante et très attentive aux prochaines étapes. Je n’en fais pas une victoire absolue parce que la bataille qu’on mène, elle ne consiste pas simplement à dire, il faut que les bombes se taisent. Il faut également reconnaître le génocide, condamner les États qui ont été complices, poursuivre les criminels israéliens qui ont commandité ces actes génocidaires et qui les ont permis.
Qui va honorer et commémorer tous ces noms, tous ces visages, tous ces gens qu’on n’a même pas eus le temps de compter ?
Il faut avancer sur la fin de l’occupation, la fin de la colonisation en Cisjordanie et de l’apartheid. Il va aussi y avoir toutes les questions d’indemnisation, de réparation du génocide et de la mémoire. Qui va honorer et commémorer tous ces noms, tous ces visages, tous ces gens qu’on n’a même pas eus le temps de compter ? J’ai un sentiment qui me reste sur ces deux années. J’ai eu du mal à avoir un espace pour être en deuil. On a pu voir des journalistes auxquels on a pu s’attacher, on a pu les suivre et puis on apprend leurs morts et puis deux heures après, on est déjà confronté à d’autres images, d’autres atrocités.
Comment comptez-vous mobiliser autour de ces batailles qui restent à mener dans les mois à venir ?
Ce qui doit nous mobiliser, c’est l’agenda du droit international. Il y a aussi toutes les autres dynamiques de mobilisation, comme le boycott. Il y a aussi les entreprises, dont l’ONU a récemment publié une liste plus étouffée, qui sont impliquées directement dans l’occupation et la colonisation. C’est un travail qui va être long.
Aujourd’hui tout le monde arrive à un moment d’épuisement. Pour celles et ceux qui sont un peu découragés, je veux leur dire de se rappeler des décennies qu’il a fallu à l’Afrique du Sud pour se défaire de l’apartheid. Ça n’a été possible que grâce à la mobilisation citoyenne internationale. Ça a pris des décennies et il faut l’avoir en tête pour la cause palestinienne, que malgré ces deux ans d’épuisement, malgré ce soulagement qu’on peut avoir avec le cessez-le-feu, il y a encore tant à faire. Je pense que ça ira même au-delà de mon mandat. Il ne faut pas perdre de vue que la justice, la libération du peuple palestinien et le triomphe du droit international, ce sont des objectifs qui ne sont pas encore atteints. Il y a une génération Afrique du Sud, il y a une génération Vietnam et là, nous sommes au cœur de la génération Palestine.
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