Budget : le cadeau d’un milliard d’euros du gouvernement au patronat
En proposant, une nouvelle fois, de fixer à 1,6 milliard d’euros le transfert de la branche accident du travail/maladie professionnelle (AT-MP) à la branche générale de la Sécu, le gouvernement offre un discret mais très coûteux cadeau au patronat… au détriment de la collectivité.

© Alain JOCARD / AFP
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Pourquoi l’examen budgétaire est déjà terminé « Ce n’est pas le ‘grand soir’, mais nous voulons changer la vie des gens » Sécurité sociale : le musée des horreurs du gouvernementL’art de la répétition. Chaque année, depuis 2021, le même cadeau au patronat, discret, glissé par les gouvernements macronistes au fin fond du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Incognito, ou presque. Car, une nouvelle fois, l’article 50 du PLFSS pour 2026 n’a pas captivé les médias. Pourtant, il abrite un arbitrage pour le moins étonnant du gouvernement Lecornu qui va bénéficier directement au patronat. Et ce, au détriment des travailleurs et de la collectivité.
Faut-il donc écrire le même article qu’il y a, tout pile, un an ? À Politis, on croit aussi en l’art de la répétition, surtout sur un sujet aussi technique qui permet, tout de même, de faire gagner près d’un milliard d’euros au patronat.
Le même montant que l’an passé…
Reprenons donc les explications : l’article 50 du PLFSS prévoit que le transfert de la branche AT‑MP vers la branche maladie au titre de la sous‑déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles soit de 1,6 milliard d’euros. Le même montant que l’an passé.
Qu’est-ce que cela signifie ? Le régime général de la Sécurité sociale est découpé en plusieurs branches. L’Assurance maladie en gère deux : la branche maladie, la plus connue, qui « assure la prise en charge des dépenses de santé des assurés et garantit l’accès aux soins ». Et la branche dite AT-MP, acronyme signifiant accidents du travail et maladies professionnelles. Celle-ci « gère les risques professionnels auxquels sont confrontés les travailleurs : accidents du travail, accidents de trajet et maladies professionnelles » et réalise aussi des actions de prévention contre ces risques professionnels.
La branche AT-MP a une particularité : elle est financée quasiment intégralement (97 %) par les employeurs. En effet, le code du travail prévoit que ceux-ci doivent prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
… bien inférieur à l’estimation de la sous-déclaration
Mais, chaque année, des dépenses qui devraient être assurées par la branche AT-MP sont en fait prises en charge par la branche maladie. La raison ? La sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles qui ne sont donc pas reconnus ou pas déclarés comme tels. Pour compenser ce phénomène, la loi de financement de la Sécurité sociale prévoit chaque année un montant que la branche AT-MP doit reverser à la branche maladie.
Cette somme ne sort pas de nulle part ; elle s’appuie sur un rapport rendu tous les trois ans par une commission présidée par un magistrat de la Cour des Comptes et composée de nombreux spécialistes du sujet, inspecteurs du travail, médecins du travail, épidémiologistes, etc.
Or, cette commission a rendu ses conclusions en octobre 2024. Selon ses travaux, dont on vous expliquait ici le détail, le coût réel, pour la branche maladie, de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles est évalué entre 2 et 3,7 milliards d’euros.
Depuis 2021, les gouvernements d’Emmanuel Macron profitent de ce transfert peu connu pour faire des discrets cadeaux aux employeurs.
Un bénéfice d’au moins 1 milliard d’euros pour les patrons
Vous commencez à comprendre ? Comme dans le PLFSS 2025, le gouvernement a décidé d’aller à l’encontre de l’avis de la commission en prévoyant que le transfert de la branche AT‑MP vers la branche maladie au titre de la sous‑déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles soit de seulement 1,6 milliard d’euros. Plus de 400 millions d’euros de moins que l’estimation la plus basse de la fourchette !
Historiquement, les gouvernements successifs suivaient l’évaluation de cette commission et tranchaient sur un montant situé entre les deux bornes de l’estimation donnée. Ce qui aurait donné, pour ces deux dernières années, un montant de 2,9 milliards d’euros – le milieu de l’estimation de la commission.
Mais, depuis 2021, les différents gouvernements d’Emmanuel Macron profitent de ce transfert peu connu pour faire des discrets cadeaux aux employeurs. A minima, c’est-à-dire si on prend la différence avec la borne la plus basse de l’estimation, 130 millions en 2022, 30 millions en 2023, 30 millions en 2024, 409 millions en 2025 et, 409 millions d’euros supplémentaires en 2026. La note s’élève au minimum à près d’un milliard d’euros. Et plus vraisemblablement à plusieurs milliards d’euros si on prend la borne médiane, avec 1,3 milliard d’euros de différence en 2025 et donc aussi en 2026, si le budget de la sécu est adopté dans la forme proposée par le gouvernement.
Ce qui devrait être payé par les entreprises est payé par tous
Mais en quoi choisir un montant particulièrement bas pour ce transfert entre les deux branches représente un cadeau pour le patronat ? En minorant ce montant, le gouvernement demande à la collectivité de supporter une partie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. En effet, conserver un montant inférieur à la fourchette estimée implique qu’une partie de cette sous-déclaration est financée par la branche maladie – et donc par tous – au lieu d’être à la charge unique des entreprises.
Une décision profondément politique qui interroge, alors que le déficit de la branche maladie – qui dépassera les 17 milliards d’euros en 2025 – sera largement utilisé par le gouvernement comme par les parlementaires du bloc central pour tailler dans les dépenses. Doublement des franchises médicales, surtaxe sur les complémentaires, etc., les économies proposées par le gouvernement sont nombreuses et font reposer l’effort sur les malades et les plus précaires.
Chantage à la prévention
Pour justifier cette mesure, le gouvernement usera certainement de l’argumentaire classique, donné clé en main par le Medef. « Le maintien d’un transfert excessif fragilise la branche AT-MP et remet en cause le caractère incitatif de la prévention des risques professionnels (sic) », expliquait, lors de son audition par la commission, l’organisation patronale. Autrement dit, si le transfert venait à augmenter, c’est la prévention des risques professionnels qui serait affaiblie.
Un chantage indécent, alors que le nombre d’accidents de travail mortels n’a jamais été aussi haut. Mais qui n’empêche pas d’être repris par la droite qui, dans un amendement, demande que le transfert soit abaissé à 1,2 milliard d’euros, jugeant que « ce transfert percute l’ambition […] d’améliorer la prévention et la réparation des accidents du travail/maladie professionnelle ».
Mais, cette année, le gouvernement disposera d’un nouvel argument : pour la première fois depuis des années, la branche AT-MP sera déficitaire en 2025. Du fait de ces transferts annuels ? Pas vraiment. Dans la réforme des retraites passée en force en 2023, les cotisations patronales pour la sinistralité ont baissé pour « ne pas augmenter le coût du travail ». Une perte de recettes de plusieurs centaines de millions d’euros. Autant de mesures présentées comme techniques, représentant de simple jeu entre lignes budgétaires, mais qui ont des impacts très concrets : faire reposer sur les travailleurs et les travailleuses le coût de la dégradation des conditions de travail.
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