Déportation de Salah Hammouri : la compagnie aérienne El Al visée pour complicité dans une plainte
L’avocat franco-palestinien a déposé plainte pour crimes de déportation, persécution et ségrégation. Parmi les mis en cause, la compagnie aérienne israélienne ayant procédé à sa déportation en décembre 2022.

Vendredi 7 novembre, Salah Hammouri, avocat franco-palestinien, a déposé plainte avec constitution de partie civile pour les crimes de « déportation », « persécution » et « ségrégation ». Né à Jérusalem en 1985, il a été incarcéré entre 2005 et 2011, puis placé en détention administrative pendant 13 mois. Après avoir été de nouveau emprisonné en mars 2022, il est déporté vers la France neuf mois plus tard, après qu’Israël lui a retiré sa carte de résident.
Parmi les suspects identifiés, plusieurs hauts responsables israéliens, parmi lesquels le ministre de l’Intérieur de l’époque, Arye Derie, lequel avait exprimé sa « volonté de révoquer le statut de résident permanent » de Salah Hammouri, Ayelet Shaked, ministre de l’Intérieur qui avait ordonné son expulsion ou encore Gideon Sa’ar, ministre de la Justice « responsable de la déportation ». Y figure aussi la compagnie aérienne israélienne El Al.
C’est dans un avion de cette société que l’avocat avait été déporté vers la France le 18 décembre 2022. Une compagnie aérienne a-t-elle déjà été condamnée pour crime de guerre ? « Pas à notre connaissance », avancent les avocats de Salah Hammouri. « Au-delà de notre volonté d’ouvrir une information judiciaire, on espère que cette procédure permettra à d’autres acteurs d’être responsabilisés », a expliqué Vincent Brengarth, avocat de Salah Hammouri lors d’une conférence de presse.
Déportation
En mai 2023, la commission d’enquête internationale indépendante des Nations unies sur le territoire palestinien occupé notait que « la déportation forcée de Salah Hammouri […] constitue une violation grave du droit international humanitaire, à savoir la déportation d’une personne protégée depuis un territoire occupé », évoquant « ce qui pourrait constituer le crime de guerre de déportation illégale ».
La commission questionnait également le fait « de savoir si des personnes au sein de la compagnie aérienne El Al avaient connaissance de cette déportation illégale et pourraient ainsi avoir commis le crime de guerre consistant à faciliter, encourager ou autrement aider à la commission d’un crime de guerre ». Une décision évoquée par les avocats lors de la conférence de presse, anticipant les probables attaques de l’extrême droite au sujet du terme « déportation », et jointe à la plainte.
J’ai senti qu’il y avait un accord entre la compagnie aérienne et la police, puisque les agents de bord m’ont vu attaché mains et pieds sans exprimer la moindre surprise.
S. Hammouri
« J’ai senti qu’il y avait un accord entre la compagnie aérienne et la police, puisque les agents de bord m’ont vu attaché mains et pieds sans exprimer la moindre surprise », décrit Salah Hammouri dans un témoignage joint à la plainte, que Politis a pu consulter. « Un officier a appelé un agent de bord et lui a demandé d’apporter une couverture pour me recouvrir afin que les passagers ne me voient pas », poursuit-il. « La police m’a effectivement couvert, ne laissant que ma tête découverte. »
Pour les avocats, la compagnie aérienne ne pouvait pas ignorer la situation. La convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale de 1944, prévoit que « lorsqu’un État contractant organise avec un transporteur aérien le transfert d’une personne à expulser, cet État doit fournir au transporteur, au plus tard 24 heures avant le départ, une copie de l’ordre de déportation ».
Cinq jours avant la déportation, Human Rights Watch avait exhorté les compagnies aériennes commerciales à « s’abstenir d’aider les autorités israéliennes à mener à bien cette déportation forcée inhumaine, discriminatoire et probablement illégale ».
Par ailleurs, la notoriété de Salah Hammouri en Israël, l’indication de son nom sur le billet d’avion, les menottes aux pieds et aux poignets, sont autant d’éléments démontrant, selon la plainte, « que la compagnie El Al ne pouvait qu’avoir connaissance des conditions qui caractérisaient le statut de personne protégée de M. Salah Hammouri, et qu’elle a, en parfaite connaissance de cause, offert la fourniture des services de transport aux autorités israéliennes, caractérisant ainsi une aide substantielle à la perpétration de la déportation coercitive et devant nécessairement engager sa responsabilité pénale ».
Présent lors de la conférence de presse, Alfonso Dorado, membre du Jurdi (Juristes pour le respect du droit international) a affirmé : « Le droit international s’applique aux acteurs privés ». La plainte cite comme précédant la condamnation de Lafarge, « devenue, en janvier 2024, la première société française à être mise en examen pour complicité de crimes de guerre en Syrie ».
Crime de guerre et crime contre l’humanité
La déportation est prohibée par plusieurs textes, qu’il s’agisse du statut de Rome de la Cour pénale internationale ou de la quatrième convention de Genève, ratifiés par la France ou encore du code pénal français.
Dans leur plainte, les avocats avancent que la déportation de Salah Hammouri constitue à la fois un crime de guerre (car elle a lieu dans le cadre « d’un conflit armé international » qui « inclut l’occupation militaire ») et un crime contre l’humanité (car elle « s’inscrit dans le cadre d’attaques à la fois généralisées et systématiques contre la population civile palestinienne, en particulier à Jérusalem-Est »). « En 2023, 61 Palestiniens de Jérusalem-Est ont été privés de leur statut de résident permanent » mentionne la plainte.
La plainte avance trois motifs selon lesquels la déportation, consécutive à la privation de Salah Hammouri de son statut de résident permanent, serait contraire au droit international. Premièrement, car « elle résulte de l’exercice abusif des pouvoirs par les autorités israéliennes sur Jérusalem-Est, à la suite de son annexion illégale. En tant que puissance occupante, Israël n’a pas le droit de régir le statut juridique de la population occupée ».
Deuxièmement, car « le régime du “permis de séjour permanent” instaure une discrimination à l’encontre de la population palestinienne, instrumentalisée pour réprimer l’opposition politique interne, en violation du droit international. » Dans un avis de 2024, la Cour internationale de justice considérait « qu’aucun traitement différentiel ne peut être justifié par l’avancement de la politique de colonisation israélienne ou de sa politique d’annexion ».
Les responsables de ma déportation doivent en payer le prix.
S. Hammouri
Enfin, c’est en raison du « défaut d’allégeance » qu’Israël a privé Salah Hammouri de son statut de résident permanent. Or, l’article 45 de la Convention de La Haye de 1907 prévoit l’interdiction « de contraindre les habitants d’un territoire occupé à prêter serment de fidélité à prêter allégeance à la puissance occupante ».
« Protéger le reste des Palestiniens »
Par son statut de ressortissant français, Salah Hammouri a pu déposer plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris. « Les responsables de ma déportation doivent en payer le prix », a affirmé Salah Hammouri. Celui qui est aussi membre de l’association Nidal au sein de laquelle la diaspora palestinienne mène des actions juridiques contre Israël a poursuivi : « Le but est aussi de protéger le reste des Palestiniens présents dans les territoires occupés à Jérusalem ».
Citant la loi de 1980 sur « Jérusalem Capitale d’Israël » et celle de 2018 sur le défaut d’allégeance, il a indiqué que sa déportation avait eu lieu « dans un contexte politique visant à vider Jérusalem [des Palestiniens] ».
Vincent Brengarth a dénoncé un contexte où « les autorités françaises multiplient les poursuites pour apologie du terrorisme mais les poursuites sont entravées ou n’ont pas lieu quand ça touche des victimes du régime israélien ». Il espère que « les juridictions françaises prennent leur responsabilité face à la commission de ces crimes ». En avril 2024, Salah Hammouri avait déposé une première plainte pour « tortures » et « détention arbitraire » pour laquelle l’instruction est en cours.
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