Changement d’ambiance…

Denis Sieffert  • 6 novembre 2008 abonné·es

Au moment où vous lirez ces lignes, Barack Obama sera, selon toute vraisemblance, élu 44e président des États-Unis. Vu de cet inconfortable mardi matin, où l’on ne « sait » pas encore, la chose paraît infiniment probable. C’est en tout cas cette hypothèse que nous voulons retenir, même si nous laissons au lecteur le soin de veiller à la concordance des temps… C’est notre hypothèse, et c’est notre souhait. Il faudrait être frappé d’une étrange cécité politique pour ne pas voir la différence entre les deux candidats et ce qu’ils représentent. McCain n’est pas Le Pen, et Obama n’est pas tout à fait Bayrou, mais le même gouffre sépare les deux candidats à la Maison Blanche et ces deux figures de notre paysage politique. Notre interrogation aujourd’hui ne porte donc pas sur le choix. Elle est ailleurs : pourquoi un tel engouement de l’autre côté de l’Atlantique, et un tel consensus ici ? Assurément, il y a l’effet « black ». L’élection d’un président issu d’une minorité ne peut être regardée chez nous comme quelque chose de banal. Ceux qui batailleraient en France contre l’idée d’un candidat disons musulman, ou issu culturellement de l’islam, font une haie d’honneur à Obama. « Black et consensuel » , comme le dit Bernard-Henri Lévy, qui ne demande qu’à être rassuré… Quel bel exemple pour nos jeunes qui sifflent « la Marseillaise » ! Voir à la télévision Pierre Moscovici et Philippe Douste-Blazy deviser comme deux vieux camarades d’un parti démocrate à la française sur les mérites du candidat démocrate à l’américaine n’est, dans ces conditions, guère étonnant.

Obama rassure. Les Black Panthers ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Mais il y a aussi une autre raison à cet engouement et à ce consensus. Une raison qui dégonfle quelque peu le mythe Obama. Cet homme surgit comme dans un retour de balancier après la folle période qui s’achève. On peut le regarder comme un personnage extraordinaire – et, en effet, il ne manque ni de talent ni de charisme –, mais on peut aussi le voir comme un homme politique américain ordinaire. Un centriste. Un homme de la moyenne. De ce point de vue, l’extraordinaire, c’est au contraire George W. Bush. Non seulement en raison de son insigne médiocrité, mais surtout du fait de l’entourage dont il a été l’otage consentant. Cet équipage, mélange d’intégristes hallucinés et de néoconservateurs fanatiques. Ces idéologues que les circonstances ont propulsés au pouvoir et qui ont eu l’occasion d’expérimenter sur le réel des théories qui n’auraient jamais dû s’échapper de leurs grimoires : un prosélytisme forcené appuyé sur un unilatéralisme méprisant et sur la force brute. Cette camarilla de foldingues qui avait résolu de transformer le monde en usant de toutes les armes de la superpuissance américaine, et de plier peuples et religions à leur volonté. Fanatiques en costume-cravate renvoyant au fanatisme de Ben Laden son image en miroir.
Plutôt que de se prosterner devant la nouvelle icône, il convient plus sûrement de reprendre nos esprits après huit années de cauchemar.

Le temps est venu de compter les morts laissés sur le champ de bataille par George W. Bush et ses amis. Et de mesurer ce qui n’est pas toujours mesurable : les haines qu’ils ont excitées et qui n’ont pas fini d’agir au-delà de leur disparition politique. Et de comprendre l’abyssale régression intellectuelle et morale dans laquelle MM. Bush, Cheney, Perle, Wolfowicz, Ashcroft et Gonzales, et quelques autres, ont entraîné ceux qui, par opportunisme, par faiblesse, ou par intérêt, leur ont emboîté le pas. En France, on en connaît de très haut placés dans notre vie politique, et de très bien placés parmi les amis de M. Bernard-Henri Lévy, « nouveaux philosophes » comme lui. À commencer par ceux qui hurlaient à l’anti-américanisme dès que l’on osait critiquer les croisés de cette mission divine chargée de remodeler le monde à l’image des États-Unis.

C’est peut-être cela l’essentiel du changement : les États-Unis ne seraient plus assimilés aux extrémistes qui parlaient en leur nom. Et la plupart des Américains n’auraient plus honte d’appartenir à ce pays. Pour le reste, n’attendons pas de miracles. D’autant que le défi le plus immédiat que lance l’histoire au prochain président est celui face auquel il est le plus démuni. C’est le défi de la crise économique et sociale. Quant on annonce vingt millions de chômeurs en plus dans le monde pour la prochaine année, on est assurément dans une crise du système capitaliste tout entier. Barack Obama, l’homme de gauche soutenu par Coca-Cola (comme son adversaire était financé par Pepsi…), ne peut intervenir qu’à la marge. Pour le reste, et à la différence de McCain, héritier honteux de Bush, on peut attendre d’Obama, s’il est élu, qu’il rompe avec l’ethnocentrisme de l’équipe précédente. Son histoire personnelle nous le fait espérer. Ce qui devrait suffire à créer sur cette terre… une autre ambiance. S’il est élu.
Au fait, l’est-il ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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