Copenhague, degré zéro de la responsabilité

Le sommet laisse la lutte climatique planétaire gravement en panne. Les égoïsmes nationaux sont en cause, mais aussi l’ONU, incapable de débloquer la situation. Comment rebondir après cet échec cuisant ?

Patrick Piro  • 24 décembre 2009 abonné·es
Copenhague, degré zéro de la responsabilité

Écœurement, consternation, immense gâchis, très grande amertume… L’échec du sommet de Copenhague (du 7 au 19 décembre) déclenche des réactions d’une rare sévérité dans la grande majorité des pays du Sud et des organisations de la société civile.
Fallait-il miser autant sur le rendez-vous danois ? Il a été pris il y a deux ans pour conclure une feuille de route lancée fin 2007 au sommet climat de Bali, dont on attendait qu’elle mette la communauté internationale sur les rails de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et sous la forme idéalisée d’un large accord international à valeur contraignante. Communiant dans le volontarisme imposé par l’urgence climatique, les acteurs ont cru surmontables deux énormes obstacles : c’était la première fois qu’allaient négocier face à face les deux principaux protagonistes que sont la Chine et les États-Unis ; et leurs positions, comme celles des blocs en présence – autres grands émergents (Inde, Brésil, Afrique du Sud), Union européenne, G77 (131 pays dits « en développement ») –, sont restées profondément éloignées depuis Bali. Il aurait fallu à Copenhague un miracle d’altruisme, de cohésion et de confiance réciproque pour décrocher le jackpot.

La déception est donc à la mesure des espoirs, mais aussi des illusions collectives. La faute à qui ?
Les Nations unies sont le plus fréquemment citées à la barre des accusés. Dans le lot, la présidence danoise de la conférence est fustigée pour sa faible performance, critiquée pour ses deux principaux partis pris : la présentation d’un nouveau texte de travail faisant la part belle aux positions des États-Unis (dans l’espoir de les rallier au club onusien, après huit ans de retrait décidé par Bush), et l’option de privilégier ensuite un groupe restreint de « grands » interlocuteurs, court-circuitant le processus de discussion en assemblée plénière auquel s’accrochent bec et ongles les pays qui comptent peu.

La méthode générale de ce genre de sommet est évidemment critiquable par sa lourdeur. Les décisions doivent faire l’unanimité (à 193, « un pays, une voix ») pour être avalisées. Ce qui conduit à vider peu à peu les accords de leur substance, selon un processus d’élimination de tout ce qui bloque dans le texte (les fameux « paragraphes entre crochets »). De plus, la succession (classique) de trois niveaux d’interlocuteurs au long des douze jours de la conférence – experts, ministres, chefs d’État – s’est montrée particulièrement inefficace tant les discordances étaient importantes. Au point que ce sont les chefs d’État eux-mêmes, arrivés les deux derniers jours, qui ont dû élaborer le texte de l’accord au lieu de se consacrer au dernier coup de pouce politique, comme prévu par le scénario onusien. « La preuve par les actes de ces limites, c’est que la conférence s’est terminée par un tête-à-tête États-Unis/Chine » , constate Pierre Radanne, conseiller des pays africains francophones pour les négociations climatiques.

Même si personne ne voit par quoi le remplacer avantageusement, le cadre onusien des négociations multilatérales a donc du plomb dans l’aile. Le gouvernement français, entre autres, a sauté sur l’occasion pour le rendre responsable de l’échec. « Mais c’est un bouc émissaire un peu facile, s’élève Pascal Husting, directeur de Greenpeace-France. D epuis Bali, ont eu lieu neuf réunions préparatoires de haut niveau et une pléthore de rencontres périphériques : G20, pays gros émetteurs, Union européenne, etc. Si l’on est arrivé à Copenhague dans cet état, c’est parce que les négociateurs n’ont jamais obtenu de vrai mandat pour faire progresser un accord… » Les pays « en développement », très présents au sommet, ont sonné l’alerte à toute tentative de contournement – ce qui laisse présager une portée limitée pour l’accord de Copenhague.
Mais les failles onusiennes servent surtout à masquer les agissements liés aux intérêts nationaux (pour ne pas dire les égoïsmes), qui sont à l’origine du magistral raté danois. Les États-Unis en portent la responsabilité principale. Malgré les apparences, car c’est paradoxalement l’action d’Obama qui a forcé l’accouchement de l’accord minimaliste. Très attendu, le président états-unien a douché les ultimes espoirs d’accord large et ambitieux par un discours recroquevillé, prioritairement adressé à son peuple. Il est symptomatique qu’il ait obtenu le lendemain de Copenhague la majorité dont il avait besoin au Congrès pour faire passer sa réforme cruciale sur la santé !

« Les États-Unis, qui montrent une réticence constante à se soumettre à des textes onusiens, ont à nouveau rejeté toute idée d’un protocole contraignant, rappelle Pierre Radanne. De plus, ils se sont montrés d’une dureté extrême envers la Chine, qui refuse d’accepter un contrôle de ses engagements. Obama est ainsi parvenu à son objectif : faire match nul avec le Premier ministre Wen Jiabao. » L’une des leçons de Copenhague, c’est que le calendrier états-unien pèse toujours aussi lourdement sur le dénouement des négociations internationales, aussi cruciales soient-elles. Tout au plus peut-on nourrir l’espoir que Barack Obama sera en mesure de jouer un rôle plus constructif en 2010, quand le vote de sa loi « climat-énergie », tout aussi délicate que celle sur la santé, lui fournira d’indispensables appuis intérieurs.

L’Union européenne a aussi joué contre le résultat, mais contre son gré. Elle s’est pavanée pendant un an dans la position autoproclamée de leader mondial de la lutte climatique après avoir adopté à Poznan l’objectif de réduire ses émissions de 20 % d’ici à 2020. Mais elle n’a pas été capable d’assumer ce rôle à Copenhague, qui a cruellement manqué de locomotive, ni d’abattre la carte d’un audacieux « – 30 % », comme elle s’en réservait la possibilité. En fait, les Vingt-Sept, pénalisés par une présidence suédoise assez effacée, sont bloqués par leurs dissensions internes. En particulier, les nouveaux pays membres, moins riches que l’Europe de l’Ouest, ne sont pas prêts à supporter des efforts supplémentaires. Un obstacle que l’Union, qui paye sa faiblesse politique, n’a pas su surmonter.

Cette lecture éclaire les efforts de la France, qui a mobilisé une active diplomatie climatique pendant toute l’année. Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, ont multiplié les initiatives personnelles, avec un plan « justice-climat » qui a rallié le Brésil et les pays africains, mais finalement sans succès. La voie solo, si elle peut apporter du lustre à Sarkozy dans l’opinion française, a cependant été très mal perçue par ses partenaires européens, qui y voient un facteur supplémentaire de fragilisation de l’Union, condamnée à un sérieux examen de conscience.

Et les grands émergents ? Bien que critiqués pour leur refus d’engagements contraignants, et avec une Chine encore extrêmement sur la défensive, ils se sont plutôt montrés constructifs, annonçant des objectifs de réductions d’émission dépassant parfois ce que l’on attendait. ­L’attitude du Brésil, notamment, a été unanimement saluée comme « très responsable  ». Alors qu’il y a peu encore le pays restait crispé sur sa souveraineté amazonienne pour limiter ses engagements, le président Lula a annoncé à la tribune de Copenhague qu’il était prêt à aider financièrement les pays les plus pauvres à ­combattre l’impact du dérèglement.
« Mais au-delà de ces divergences de postures, l’échec de Copenhague a des racines plus profondes, juge le député Vert Yves Cochet. C’est la persistance des vieux discours du développement et de la croissance, qu’aucun pays ne se dispose à abandonner. La conscience de l’intérêt collectif, seul moyen de s’en sortir, ne parvient pas à surpasser les ambitions nationales. »

Prochain rendez-vous planétaire : Mexico, fin 2010. D’ici là, une fois les colères digérées, tout le monde va devoir se remettre au travail – gouvernements, experts, ONG, mouvements sociaux, etc. Car, s’il est une certitude, c’est que Copenhague ne laisse que des vaincus sur le carreau. Indifférent, le dérèglement climatique qui s’aggrave laisse rois et roitelets nus en leurs royaumes.

Écologie
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