Désorganisé mais magique

Le Forum social a démarré dans la plus grande confusion mais s’est achevé dans l’enthousiasme, grâce à l’implication des réseaux militants et aux ondes d’espoir émanant de Tunisie et d’Égypte.

Patrick Piro  et  Ivan du Roy  • 17 février 2011 abonné·es

«Nous saluons la présence de tous les peuples fatigués » , plaisante un rappeur sénégalais à l’une des assemblées de conclusion du Forum social mondial. Fatigués, les participants le sont. Car cette onzième édition qui se termine a bien failli ne jamais commencer. Peu de personnes en ont eu connaissance, mais le recteur de l’université Cheikh-Anta-Diop, récemment nommé et alléguant la perturbation des cours, était revenu sur les accords passés avec son prédécesseur. Un jour avant l’ouverture, il n’accordait plus aucune salle aux travaux du forum ! Il en fallait près de 150, pour 1 500 ateliers, assemblées et réunions. Dizaines de tentes montées à la hâte, modifications incessantes des lieux et horaires, milliers d’altermondialistes errants : le rendez-vous a démarré dans une confusion qui aurait pu lui être fatale. « L’intéressant, c’est de se demander comment, dans de telles conditions, le forum a aussi bien réussi… » , observe l’économiste Gus Massiah, ­membre du Conseil international.

De fait, à coup de textos, de messages ou de mots placardés, les réseaux militants ont, en quelque sorte, reconstitué un forum qui se délitait. « Ce qui montre combien les altermondialistes sont attachés à ce lieu un peu magique, et à quel point le fatalisme est une propagande de “ceux d’en face” » , affirme Bernard Salamand, président du Crid, qui rassemble les principales ONG françaises de solidarité internationale.

Malgré la désorganisation généralisée, il y avait foule, couleurs et percussions. Une noria incessante mêlant militants aguerris, participants novices, étudiants curieux et vendeurs ambulants ravis. Un enthousiasme plus notablement francophone : en raison du manque de moyens, les traductions n’étaient pas systématiques, et de nombreux participants étrangers sont passés un peu à côté de ce forum africain.

Au nombre des satisfactions : la forte présence des mouvements de base, en partie exclus du précédent FSM africain, à Nairobi en 2007. Les femmes, en particulier, ont imposé leur présence comme jamais. Des convergences ont été actées sur plusieurs thèmes. La question des migrations a donné lieu à une charte mondiale adoptée symboliquement sur l’île de Gorée, lieu de mémoire de l’esclavage. L’accaparement des terres, le pillage des matières premières et des ressources ou les scandales de l’évasion fiscale ont fait l’objet de plans de travail internationaux pour 2011. Ouvert sur la révolution tunisienne et clôturé alors que Moubarak abandonnait la présidence égyptienne, le FSM de Dakar a baigné les participants africains d’une onde d’espoir démocratique qui pourrait avoir des conséquences locales. Alors qu’il devrait solliciter sa réélection l’an prochain, le président Abdoulaye Wade, à la tête d’un État déliquescent, est de plus en plus contesté. Côté politique, le président bolivien, Evo Morales, et plusieurs ministres brésiliens se sont déplacés, preuve de l’attachement de ces gouvernements au processus.

Reste que la tenue du prochain FSM est encore incertaine. Les financements des grandes fondations risquent de ne pas être renouvelés. Pour 2013, plusieurs options sont sur la table : un retour à Porto Alegre, capitale de la démocratie participative, ou à Bahia, un forum au Maroc ou en Égypte, un déplacement en Asie (après Bombay en 2005), voire un premier FSM au Nord : au Canada ou en Europe, le vieux continent ayant bien besoin d’un dépoussiérage démocratique et social.

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