Une brèche dans l’empire Veolia

La Coordination eau Île-de-France a remporté une victoire devant le tribunal en obtenant l’annulation d’une décision confiant au privé la gestion de l’eau de neuf communes de l’Est parisien.

Thierry Brun  • 14 juin 2012 abonné·es

Le bras de fer politique sur la gestion de l’eau se poursuit au sein de la communauté d’agglomération Est Ensemble (CAEE), présidée par le socialiste Bertrand Kern, qui est aussi maire de Pantin. La Coordination eau Île-de-France a obtenu gain de cause le 31 mai, devant le tribunal administratif de Montreuil, dans son recours contre une délibération de la communauté d’agglomération confiant au privé la gestion de l’eau des neuf communes de Seine-Saint-Denis membres d’Est ensemble [^2]. Le tribunal a sanctionné les conditions dans lesquelles s’était déroulé le vote du conseil d’agglomération, le 30 novembre 2010, en s’appuyant sur des témoignages, dont celui publié sur l’un des blogs de Politis  ^3.

Daniel Bernard (Parti de gauche), vice-président de la communauté d’agglomération Est Ensemble, avait déploré « les bousculades, le filtrage et les palpations » à l’entrée de la salle du conseil communautaire. Il avait aussi regretté « que cette opposition à l’entrée ait conduit à ce que l’une de nos collègues soit légèrement blessée et que d’autres soient repartis, ayant refusé les fouilles illégales ». Les vidéos du blog de Politis montrant les agissements illégaux d’une société privée de sécurité ont convaincu les juges.

Surtout, le tribunal a invalidé la décision d’Est Ensemble de déléguer la gestion de ce service de l’eau au Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), un marché entre les mains du géant Veolia depuis 1923. Un coup dur pour la multinationale de l’eau, car la communauté d’agglomération représente 400 000 habitants, soit 10 % de la population desservie en eau potable par le Sedif. « Toutes les décisions prises par la CAEE sur la base de cette délibération mais aussi toutes les décisions prises par le Sedif au nom de la CAEE n’ont plus aucune valeur juridique. C’est ce que nous allons faire constater par les juges », affirme la Coordination eau Île-de-France, qui ajoute qu’Est Ensemble « se doit de prendre en considération l’opinion publique très majoritaire, en particulier à gauche, en faveur de la sortie du Sedif et d’une gestion publique de l’eau ».

Pour appuyer son propos, la Coordination cite Laurent Fabius, Pierre Moscovici et Manuel Valls, des dirigeants socialistes qui ont fait le choix du retour en régie publique dans leurs collectivités. Dans une déclaration commune, la Coordination eau Île-de-France, des personnalités, notamment Razzy Hammadi, secrétaire national chargé des services publics du PS, et des formations politiques de gauche (Bondy Autrement, EELV, Fase, Alter-agglo, Montreuil Vraiment, NPA, Parti de gauche 93) estiment que cette annulation « constitue une seconde chance pour remettre à plat la gestion de l’eau à Est Ensemble et mettre en œuvre une gestion publique comme s’y était engagée la CAEE, il y a deux ans ».

Une promesse laissée en plan par Bertrand Kern, qui prévoyait d’étudier le passage en régie publique et le réexamen des modalités de gestion de l’eau. « En interne, se poursuivent les réflexions sur les alternatives au Sedif et à son délégataire Veolia Eau, un ingénieur y travaille à temps plein », assure Thomas Laparre, directeur de cabinet du président de la communauté d’agglomération [^4]. Pour lui, le passage en régie publique bute cependant sur un obstacle technique : « Il n’existe pas d’infrastructures de production et de distribution d’eau potable sur notre territoire. »

Le prochain conseil communautaire d’Est Ensemble, prévu le 26 juin, promet d’être animé, car Bertrand Kern défend le contrat avec le Sedif et envisage une simple reconduction de la délibération annulée, alors que la déclaration commune propose « une nouvelle convention provisoire avec le Sedif », pour se donner le temps de réaliser une étude de faisabilité de la régie publique. La Coordination eau Île-de-France a remporté « une victoire symbolique, qui marque pour nous un contretemps », minimise Thomas Laparre. Les conseillers communautaires voteront-ils pour autant massivement en faveur d’un contrat avec le Sedif et Veolia ? Pas sûr.

[^2]: Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Romainville et Pantin.

[^4]: Dans un article de la Gazette des communes du 7 juin.

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