Une vie contre les fascismes

L’historien israélien Zeev Sternhell revient sur son parcours dans un livre d’entretiens.

Olivier Doubre  • 22 mai 2014
Partager :

Historien francophone israélien, spécialiste de la France, des origines du fascisme, de la crise des Lumières et d’Israël, Zeev Sternhell a largement renouvelé l’histoire des idées, en particulier de la droite française. Même si, pour un certain nombre d’historiens (comme Enzo Traverso), l’histoire des idées est considérée comme une fraction un peu démodée de leur discipline.

L’apport de Sternhell résulte de sa remise en cause, dès les années 1960, des trois grandes familles de droite françaises qu’avait définies René Rémond en 1954 dans les Droites en France. Pour cet historien chrétien et mandarin de Sciences  Po durant des décennies, la droite française ne peut être que légitimiste (contre-révolutionnaire), césarienne (du bonapartisme au gaullisme) ou bien orléaniste (regroupant les libéraux, d’Antoine Pinay à Giscard ou Balladur). Après une thèse à Sciences Po – dont le jury est présidé par René Rémond –, Zeev Sternhell publie un livre qui crée la controverse durant plusieurs décennies. Ni droite ni gauche montre qu’il y a eu un fascisme français qui s’est évidemment déchaîné sous l’Occupation, mais, plus encore, que le nationalisme ( « intégral » ) français, né avec Barrès et Maurras (avant Déat ou Doriot, puis l’OAS, voire Le Pen), constituerait l’acte de naissance de l’idéologie fasciste. Rompant là avec le mythe très répandu d’une prétendue « immunité française » au fascisme. Menés par Nicolas Weill, journaliste du Monde, ces entretiens avec Zeev Sternhell retracent la vie et le parcours intellectuel de l’historien. Et c’est ce parcours qui explique l’origine de son travail sur la droite radicale française, de la fin du XIXe siècle aux années 1930, pétrie d’antisémitisme, de détestation de la démocratie mais aussi de « déterminisme biologique ». Né en Pologne en 1935, enfant juif rescapé de la Shoah, arrivé en France à la Libération chez une tante avignonnaise, il a parfaitement conscience de l’antisémitisme qui règne en Europe et s’enthousiasme vite pour la création de l’État d’Israël, où il émigre à 16 ans, en 1951. Mais sa culture française le fait revenir étudier à Sciences Po dans les années 1960. Où, dans le climat réactionnaire de l’école, il entreprend de travailler sur Barrès.

Plus tard, Sternhell rattachera cette tradition de « la droite révolutionnaire » – titre d’un autre de ses livres [^2] – au courant des « anti-Lumières » qui n’ont cessé de combattre les droits de l’homme et l’héritage de la Révolution française. Sioniste de gauche, il participe aux guerres de 1967 et de 1973, mais ne cesse de critiquer la politique de colonisation d’Israël à partir de 1967, « le plus grand désastre de l’histoire du sionisme » selon lui, et le traitement réservé aux Palestiniens. Ce livre d’entretiens est aussi une leçon de vie.

[^2]: Voir notre entretien avec Zeev Sternhell au moment de la réédition de ce livre, dans Politis n° 1236, du 17 janvier 2013.

**Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison** , Zeev Sternhell, entretiens avec Nicolas Weill, Albin Michel, coll. « Itinéraires du savoir », 368 p., 24 euros.
Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La gauche et la méritocratie : une longue histoire
Méritocratie 17 décembre 2025 abonné·es

La gauche et la méritocratie : une longue histoire

Les progressistes ont longtemps mis en avant les vertus de l’école républicaine pour franchir les barrières sociales. Mais le néolibéralisme dominant laisse peu de chances aux enfants des classes populaires de s’extirper de leur milieu d’origine.
Par Olivier Doubre
Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »

Dans un entretien croisé, l’autrice et sociologue et le président de l’association Une voie pour tous remettent en question la notion de mérite dans un système scolaire traversé par de profondes inégalités.
Par Kamélia Ouaïssa et Hugo Boursier
« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »

Sociopolitiste et historien, Antoine Idier analyse les enjeux de la proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 », votée le jeudi 18 décembre 2025 par l’Assemblée nationale.
Par Olivier Doubre
Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier