Pourquoi la Confédération paysanne est-elle anti-loup ?

TRIBUNE. Le géographe Farid Benhammou revient sur la radicalisation du positionnement du syndicat face au prédateur.

Farid Benhammou  • 27 novembre 2014 abonné·es

Barrage de Sivens, protection de zones humides, OGM… La Confédération paysanne se retrouve toujours aux côtés des écologistes dans leurs luttes, sauf pour la protection du loup. Depuis cet été, le syndicat a lancé une offensive réclamant une régulation plus radicale de l’espèce, dans des médias de gauche, ou proches, tels que l’Obs, Libération, France Inter et même Politis. Comment expliquer cet alignement sur les positions de la FNSEA, le syndicat agricole dominant, ou des milieux de la chasse les plus durs ?

Premièrement, le loup est l’ennemi atavique de l’éleveur et du berger, dont, aussi ouverts soient-ils, il est presque contre-nature d’attendre une quelconque clémence. Ensuite, les éleveurs de la Confédération paysanne, surtout des « néos », se sont souvent installés sur des terroirs difficiles dans la mesure où les détenteurs traditionnels de la terre préfèrent se garder ou se partager le meilleur foncier. Dans ce contexte, il est fréquent que les exploitations, notamment dans les Alpes du Sud, soient en équilibre socio-économique précaire, et le loup vient alors s’ajouter aux tracasseries administratives (contrôles vétérinaires, difficulté de l’obtention d’aides, modèle économique fragile). On peut comprendre que le stress supplémentaire d’un prédateur sur des personnes travaillant énormément, harcelées de toute part, entraîne des positions sans concessions. L’échec de l’éleveur qui a voulu se lancer dans la production de laine cachemire, sans expérience et sur un terroir rude des Hautes-Alpes, où il n’avait pas été alerté de la contrainte du loup, est symptomatique [^2]. Enfin, depuis l’émergence de la problématique des prédateurs, les débats sur le sujet ont été les plus violents et les plus clivants de tous au sein du syndicat. Des éleveurs alpins, soutenus par des Pyrénéens confrontés à l’ours, l’ont conduit à adopter des positions hostiles. Face au pathos suscité par des cas personnels de réelle détresse, toute autre argumentation était délégitimée. Des amitiés se sont brisées, quelques-uns ont pris leur distance avec l’organisme, d’autres ont fini par s’aligner.

Il est vrai que, parallèlement, le loup a continué son expansion et que les mesures proposées par les pouvoirs publics (chiens de protection, clôtures mobiles, aides-bergers) ne sont pas satisfaisantes dans tous les terroirs. Pour autant, le syndicat doit-il laisser le nécessaire débat sur le loup monopolisé par les plus radicaux ? Lesquels ne sont pas forcément « des petits producteurs » et font alliance avec le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam). Cet organisme de développement agricole capte des fonds du ministère de l’Écologie pour établir des diagnostics des exploitations subissant la prédation, il communique activement en sous-main sur l’inefficacité des mesures de protection et pousse les éleveurs à ne jurer que par des tirs de loups.

La Confédération paysanne aurait tout à gagner à lancer un débat pluraliste, fidèle à sa tradition. L’élimination ponctuelle d’individus attaquant un troupeau n’est pas à exclure en soi, mais la destruction indifférenciée menée par les chasseurs depuis peu avec la bénédiction de l’État, sous la pression des éleveurs, n’est pas une solution durable. La nature n’est ni bonne ni mauvaise en elle-même, mais elle peut être réellement contraignante. Pour autant, être contre les orages, la grêle ou les inondations améliore-t-il la situation des agriculteurs confrontés à ces aléas ? Non. Il en est de même pour le loup.

[^2]: Cité dans Politis n° 1319, 18 septembre 2014.

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