Trump peut-il faire la pluie et le beau temps ?

Les sorties climato-sceptiques de Trump font redouter une régression de la politique énergétique et climatique états-unienne. Mais en a-t-il les moyens ?

Patrick Piro  • 16 novembre 2016 abonné·es
Trump peut-il faire la pluie et le beau temps ?
© Photo : Spencer Platt/Getty Images/AFP

Une diatribe anti-Obama : les annonces du nouveau président des États-Unis sur les questions climatiques et énergétiques, plus qu’un programme cohérent, apparaissent comme une volonté de démanteler les avancées de son prédécesseur. Donald Trump veut « annuler » l’Accord de Paris signé lors de la COP 21, réactiver le projet d’oléoduc géant Keystone XL pour acheminer le pétrole des sables bitumineux canadiens, faire tomber les réglementations qui pèsent sur l’industrie du charbon, amplifier l’extraction du gaz de schiste, mettre au pas l’Agence de l’environnement (EPA) et couper les fonds aux recherches sur le dérèglement climatique.

Ses saillies de campagne le classent dans la frange la plus outrancière des négationnistes du réchauffement planétaire, « un concept inventé par et pour les Chinois afin de nuire à la compétitivité de l’économie américaine », les mêmes « qui installent illégalement sur nos côtes, et même légalement, des éoliennes tueuses d’oiseaux ».

L’élection surprise de Donald Trump, alors que s’ouvrait le sommet climatique de -Marrakech (COP 22), a rendu anecdotiques les congratulations prévues pour l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, ratifié entre autres par les États-Unis. Trump, qui ne veut pas « donner à des bureaucrates étrangers le contrôle sur la quantité d’énergie que [les États-uniens peuvent] consommer dans [leur] pays », peut-il mettre à mal cet accord, le premier du genre engageant l’ensemble de la communauté internationale ?

Juridiquement, les États-Unis pourraient être libérés de leur signature dès 2019 s’ils vont jusqu’à sortir de la Convention climat, cadre général des négociations depuis 1992. Mais, sans même engager un processus juridique qui l’exposerait à une forte critique internationale, Washington pourrait entraver la mise au point technique de l’Accord de Paris (attendue pour 2018) et négliger l’objectif, ratifié par un décret d’Obama, de réduire de 28 % les émissions de gaz à effet de serre de son pays d’ici à 2030 : l’accord, fondé sur des engagements volontaires, ne comporte aucun mécanisme de sanction. Le sabordage ne concernerait cependant que 12 % des émissions planétaires, contribution des États-Unis au dérèglement, ce qui ne compliquerait pas fondamentalement la situation : les efforts consentis par les pays ne représentent que 30 % des réductions de CO2 attendues pour maintenir le réchauffement en dessous des 2 °C, seuil adopté à Paris.

Plus ravageur serait un « effet domino » entraînant le recul de pays comme la Russie, l’Inde ou la Chine. Pourtant, rien n’annonce une débandade imminente. L’attitude de la Chine, le plus important émetteur planétaire, retient toute l’attention : depuis un an, Pékin et Washington avançaient en tandem pour leurs engagements climatiques. « La Chine a indiqué qu’elle ne quitterait pas l’Accord, car, à l’instar des autres pays, elle y trouve son intérêt », analyse Michel Colombier, directeur scientifique à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Pékin compte sur des synergies dans la lutte contre la pollution générée par les énergies fossiles, fléau des villes chinoises. « Et le pays pourrait s’ouvrir un boulevard pour renforcer sa position dans la diplomatie climatique et sur les marchés liés à la transition énergétique », souligne Célia Gautier, du Réseau action climat (RAC-France). La montée en puissance des acteurs non étatiques (collectivités et entreprises, notamment), que soutient l’Accord de Paris, fait naître des coalitions d’intérêts et des perspectives économiques nouvelles autour des négociations climatiques. « La Chine n’a pas signé pour faire plaisir à Obama, souligne Pascal Canfin, directeur du WWF, mais, entre autres, parce qu’il y a un leadership mondial à prendre dans le domaine des énergies renouvelables, des véhicules électriques, etc. »

Rien n’indique donc qu’un isolement -climato-diplomatique servirait l’intérêt des États-Unis, dont Trump se prévaut à chaque phrase. Alors que la COP 22 lui en offrait l’occasion, son premier entretien, accordé dimanche dernier à la chaîne CBS, esquive d’ailleurs ce chapitre. Les observateurs jugent en revanche très probable que le nouveau président agisse rapidement au niveau intérieur. On attend un climato-sceptique dur à la tête de l’EPA (l’Agence de protection de l’environnement), l’abolition des mesures qui ont durci les seuils d’émission des centrales à charbon (Clean Power Plan), l’assouplissement des contraintes sur les forages pétroliers et gaziers, la réduction des aides aux renouvelables.

« Certes, les Républicains auront tout les pouvoirs à Washington, mais l’échelon fédéral ne résume pas les politiques publiques, les autorités locales ont une autonomie réelle », tempère Pascal Canfin. Boston, Chicago, Houston, Los Angeles, New York, Philadelphie, San Francisco ou Seattle sont membres du réseau C40 de lutte contre le dérèglement, qui réunit une centaine de villes dans le monde, représentant 25 % du PIB mondial et 70 % des émissions de CO2. « La politique de transition énergétique de la Californie, septième entité économique mondiale, est devenue consensuelle chez les démocrates comme chez les républicains, et son influence normative, budgétaire et fiscale s’étend au-delà des limites de l’État », constate Michel Colombier. Ainsi, en raison de l’importance du marché local, les normes d’émissions californiennes, plus exigeantes que les obligations fédérales, ont tiré vers le haut les constructeurs automobiles du pays.

Par ailleurs, si le pouvoir de nuisance climatique de Trump est réel, « il pénalisera des entreprises états-uniennes sur le sol national mais pas sur les marchés mondiaux, qui sont importants, indique Pascal Canfin, et la tendance mondiale en faveur des renouvelables est irréfutable. En 2015, il s’est installé plus de capacité de production dans l’éolien, le solaire, etc., que dans le charbon. »

Cette dernière filière peut-elle rebondir sous la houlette de Trump, qui a promis son appui aux ouvriers du secteur ? Célia Gautier est dubitative. « Le charbon est partout sur le déclin. Et puis on nage dans l’incohérence ! Veut-il protéger les travailleurs de quelques États charbonniers seulement ? Et pour combien de temps, avec une politique du XIXe siècle ? » Populisme ou méconnaissance des dossiers, Trump a simultanément promis d’accélérer l’exploitation du gaz de schiste… cause de l’affaissement du charbon aux États-Unis. « Le principe de réalité économique va rapidement s’imposer pour relativiser toutes ces annonces », prévoit Michel Colombier.

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