Le scénario Négawatt éclaire la gauche

Référence des écolos, cette étude prospective indépendante, qui vise zéro CO2 en 2050, a également conquis Hamon et Mélenchon, alors que la version 2017 vient d’être dévoilée.

Patrick Piro  • 25 janvier 2017 abonné·es
Le scénario Négawatt éclaire la gauche
© Photo : CHRISTOF STACHE/AFP

L’équipe Négawatt creuse son sillon. Mercredi 25 janvier, cette association regroupant plusieurs dizaines de professionnels indépendants des domaines de l’énergie et de l’économie a divulgué la version 2017 de son scénario, qui trace la route d’une puissante transition énergétique : à l’horizon 2050, la France aura réduit des deux tiers sa consommation d’énergie primaire [1] par rapport à 2015, sera devenue neutre pour ses émissions de gaz à effet de serre et couvrira tous ses besoins énergétiques par des sources renouvelables.

La lutte contre le dérèglement climatique va de pair avec l’autonomie énergétique : le pays se libère des importations de pétrole, de gaz et de charbon, mais aussi d’uranium, la trajectoire Négawatt comprenant la sortie du nucléaire, avec fermeture de la dernière centrale en 2035. Car la robustesse d’une transition énergétique, affirment les auteurs, se mesure à l’indépendance des approvisionnements comme à l’abandon des options à risque.

Depuis la première version du scénario, publiée en 2003 puis refondue en 2006 et en 2011, le contexte a « considérablement évolué », soulignent les experts. La catastrophe de Fukushima a plombé l’atome, le contrôle des énergies fossiles accroît les tensions géopolitiques, et l’Accord de Paris, fin 2015, a remis la lutte climatique au premier rang des préoccupations.

À son niveau, Négawatt a fait bouger les lignes en France. Cette étude était sans conteste la plus originale et la plus complète des onze prospectives étudiées lors du débat précédant l’élaboration de la loi de transition énergétique de juillet 2015. Le fondement de sa logique s’est imposé – mettre en avant la réduction des consommations (sobriété, efficacité des appareils) plutôt que l’accroissement des moyens de production d’énergie. Seul scénario couvrant l’ensemble des secteurs – électricité, chauffage, transport, industrie, etc. –, Négawatt a également montré la crédibilité d’une sortie totale du nucléaire à terme, option taboue des prospectives gouvernementales. Jusqu’à ce que l’Ademe s’y risque, en 2015, avec une étude [2] qui a provoqué des remous chez les gardiens de l’orthodoxie énergétique nationale.

Le scénario Négawatt est devenu une référence des programmes d’Europe Écologie-Les Verts, plus précisément depuis sa version 2011, publiée là aussi en période présidentielle. En particulier parce que, au-delà de l’étendue des économies d’énergie et du potentiel des renouvelables, le document évaluait l’impact sur l’emploi de cette ambitieuse transition. La version 2017 affiche la création de 400 000 emplois net dans les trente-cinq ans à venir, compilant les postes (non délocalisables) créés par un vaste programme d’isolation thermique des bâtiments anciens, par l’essor d’une économie circulaire (recyclage, réparation, etc.) et par la marche à l’hégémonie des renouvelables, et intégrant les pertes dans les énergies conventionnelles et le transport routier.

Si, en 2017, l’urgence climatique et énergétique suscite une attention beaucoup plus vive qu’en 2011 pour le chantier de la transition énergétique, cet atout social a sans nul doute joué un rôle important dans l’intérêt récent à gauche du Parti socialiste pour les travaux de Négawatt, et notamment de la part des concurrents potentiels à la présidentielle. Au-delà de Yannick Jadot pour EELV, le scénario est endossé tout ou partie par Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), Charlotte Marchandise (LaPrimaire.org), François de Rugy et Jean-Luc Bennahmias (candidats éliminés de la primaire de la Belle Alliance populaire). Mais aussi, et c’est plus significatif au regard des débats de la présidentielle, par Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait en juin dernier « faire sien le scénario Négawatt [3] », et Benoît Hamon, qui met en proue de son programme la transition énergétique et les « choix politiques radicaux [4] » qu’elle nécessite. Cette récente adhésion, au sein d’un PS très modéré sur ce chapitre, signe « un véritable changement, d’autant plus intéressant que les prises de position de ce candidat alimentent actuellement le débat politique », relève Thierry Salomon, cofondateur de Négawatt et vice-président de l’association, qui précise que ses travaux sont accessibles à tous, sans exclusive ni favoritisme.

Entre autres point saillants, la version 2017 pousse les gains majeurs qu’offrirait une mutation de l’agriculture française telle qu’explorée par le scénario Afterres2050 (association Solagro), que Négawatt articule à son étude : par la sortie des pratiques productivistes dominantes ainsi que la réduction de la consommation de viande, le pays va jusqu’à neutraliser l’intégralité de ses émissions de gaz à effet de serre.

Une autre percée ébauchée en 2011 est développée : le couplage des réseaux de gaz et d’électricité. Les jours où la production des éoliennes et des panneaux solaires photo-voltaïques (énergies intermittentes) dépasse les besoins, l’excès sert à synthétiser du méthane (équivalent au gaz naturel) utilisable en carburant ou en combustible de chauffage. Cette filière « power-to-gas » (qui prend son essor en Allemagne) rend également le service inverse : brûler du méthane dans des turbines à cogénération fournirait de l’électricité les jours où les renouvelables intermittentes sont insuffisantes.

Négawatt instaure aussi l’économie circulaire prévue par la loi de transition énergétique : en imposant des biens durables, la fin de la surconsommation, la réparation, le recyclage et la récupération, la ponction en matières minières peut être divisée par deux.

Outre la création d’emplois, la mutation entraîne d’autres bénéfices sociaux : la qualité de l’air s’améliore radicalement et le nombre de ménages en situation de précarité énergétique est divisé par huit, grâce à la rénovation thermique des logements et à la maîtrise du coût de l’énergie. Le cumul jusqu’en 2050 des économies annuelles générées par le tarissement des importations d’hydrocarbures, selon l’ambition Négawatt, allégerait la balance commerciale de 700 milliards d’euros.

Et, pour souligner la crédibilité de ses travaux, l’association souligne que la courbe de la consommation d’énergie, à la baisse depuis quelques années, rejoint désormais celle que traçait son scénario en 2003.

Un mouvement structurel s’est engagé, constatent les experts, qui les pousse à livrer une préconisation « essentielle » à l’adresse des candidats à la présidentielle : alors que le rythme d’application des politiques décidées depuis deux quinquennats est « très insuffisant », il faut l’accélérer : « C’est une priorité pour les cinq ans à venir. »

[1] Celle qu’on prélève dans la nature, avant transformation pour la consommation finale (électricité, essence, etc.)

[2] « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 ».

[3] Regards, 1er juin 2016.

[4] « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », Paris, 15 décembre 2016.

Écologie
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