Actions gratuites, pour qui, pourquoi ?

Ce mode de rémunération est une pierre angulaire du capitalisme financier.

Mireille Bruyère  • 8 novembre 2017 abonné·es
Actions gratuites, pour qui, pourquoi ?
© photo : CHRISTOPHE SIMON / AFP

Il ne se passe pas un jour sans que le gouvernement et ses députés ne montrent sans honte leur profond mépris de classe. La baisse de la fiscalité sur les actions gratuites en est la dernière illustration. Il faut être singulièrement cynique pour déclarer, comme Olivia Grégoire, la porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée nationale, que cette mesure est pour « les salariés » et pas pour les riches ! Depuis trois décennies, la financiarisation des entreprises a fragmenté le salariat entre beaucoup de « salariés-coûts » et quelques « salariés-hauts potentiels ». Les premiers sont à réduire, car inutiles et trop nombreux, et les seconds sont à attirer et à cajoler, car talentueux et innovants. Ainsi, les actions gratuites se distinguent des autres dispositifs de participation au capital de l’entreprise que sont les accords d’intéressement et de participation. Elles ne bénéficient qu’à certains salariés, ces fameux « hauts potentiels », alors que les seconds se doivent légalement de bénéficier à tous les salariés de l’entreprise sans distinction.

En premier lieu, cette mesure est donc profondément inégalitaire. Seuls les salariés les plus riches bénéficieront des quelque 102 millions d’euros dont se prive l’État pour financer cette mesure. En ce sens, ce dispositif n’est qu’une incitation à un renforcement des inégalités salariales, devenues obscènes sous le régime néolibéral. Aux États-Unis, elles sont passées d’un rapport de 1 à 30 entre la plus forte rémunération et le revenu médian des salariés dans les années 1990 à un rapport de 1 à 350 actuellement. La France suit le même mouvement avec un écart de 100.

Mais l’effet de cette mesure ne s’arrête pas là. Elle s’inscrit dans le mouvement de financiarisation des entreprises et du management, montrant que la politique gouvernementale n’est pas une politique « clientéliste » visant à concilier tous les intérêts à la fois, mais bien une politique cohérente qui s’inscrit parfaitement dans l’agenda néolibéral des États (financiarisation, fragmentation et digitalisation de la société, affaiblissement des Parlements et renforcement des exécutifs).

La financiarisation des entreprises va orienter le management selon le seul intérêt des actionnaires. Pour ce faire, on va développer une rémunération assise sur l’évolution des cours de l’action par la distribution de stock-option ou d’actions gratuites permettant ainsi d’aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires. Ce mode de rémunération est une pierre angulaire du capitalisme financier. Avec lui, le calcul ne fait aucun doute pour les managers entre un investissement productif en vue d’améliorer la qualité ou la sécurité des produits, dont la rentabilité sera longue et incertaine, et une opération d’acquisition sur les marchés financiers visant à faire bondir le cours de l’action.

Ce mode de rémunération a donc contribué à détruire petit à petit la vocation des entreprises à répondre aux besoins sociaux et ravage le sens du travail.

Au-delà du cadeau fiscal fait aux très riches salariés, cette mesure valorise outrageusement les managers des grandes entreprises, qui sont des destructeurs du sens du travail, mais aussi des valeurs d’usage dont nous avons besoin pour vivre ensemble.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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