Un monde à la Daniel Blake

Les contrôles plus sévères obligeront les chômeurs à accepter des emplois de faible qualité.

Sabina Issehnane  • 9 janvier 2019 abonné·es
Un monde à la Daniel Blake
© Les films du fleuve / Why not Pr / Collection ChristopheL

A****lors que les négociations de la nouvelle convention d’assurance chômage avaient été suspendues, elles ont repris avec une réunion le 9 janvier. Les partenaires sociaux devront rendre leur copie à la fin du mois. La lettre de cadrage envoyée par le gouvernement en septembre dernier leur demande un plan d’économies de plus d’un milliard d’euros par an. Nous ne pouvons savoir à l’heure actuelle comment aboutira cette négociation ; cependant, le décret sur le contrôle des chômeurs paru le 30 décembre donne le ton.

En alourdissant les sanctions et en redéfinissant l’offre valable d’emploi que peut (doit) accepter le chômeur, le gouvernement choisit d’aller vers un modèle anglo-saxon coercitif. L’objectif est d’inciter les individus à reprendre un emploi quelle que soit sa qualité – même s’il est moins rémunéré, en contrat court ou à temps partiel. Ces mesures, qui se sont développées partout en Europe de manière plus ou moins contraignante, s’appuient sur l’idée que les chômeurs, en contrepartie de droits – un accompagnement et une allocation, lorsqu’ils y ont droit (1) –, ont des devoirs.

Ces politiques relevant d’une logique d’activation des chômeurs s’appuient non seulement sur des sanctions mais aussi sur des incitations financières. La prime d’activité en relève, mais aussi un dispositif moins connu qui permet aux demandeurs d’emploi effectuant une activité réduite de continuer à percevoir une partie de leur allocation. Dans sa lettre de cadrage, le gouvernement demande une réforme de ce dispositif de cumul, accusé selon lui d’enfermer les chômeurs dans une trajectoire précaire « faite d’alternance de contrats très courts et d’indemnisation du chômage ».

Le nombre de demandeurs d’emploi effectuant une activité réduite – en catégories B et C – a en effet triplé depuis les années 1990. Cependant, ce système conduit-il les individus à préférer des contrats courts plutôt qu’un emploi durable en raison du complément d’assurance chômage qu’ils pourraient toucher ? Différentes études ont été menées : elles montrent l’absence de « comportement optimisateur » du demandeur d’emploi, qui recherche le plus souvent un emploi stable – et surtout qui lui permette de vivre dignement. Ces travaux soulignent que le dispositif de cumul permet à ses bénéficiaires de subvenir à leurs besoins primaires (comme payer son logement) et à ceux de leurs enfants. La boucle est alors bouclée. Les contrôles plus sévères et les sanctions encourues obligeront les chômeurs à accepter des emplois de faible qualité (plus nombreux en raison des réformes de dérégulation du marché du travail) ; or, la réforme du système d’indemnisation chômage qui s’annonce risque d’amoindrir leurs droits. Réduire la prise en charge du chômage « partiel », c’est toucher à cette frange de la population si bien décrite par George Orwell dans Le Quai de Wigan.

(1) Moins de 50 % des demandeurs d’emploi perçoivent une indemnisation chômage.

(*) Référence au film _Moi, Daniel Blake,_ de Ken Loach, qui montre l’absurdité et la cruauté du système anglo-saxon d’accompagnement et d’indemnisation des chômeurs.

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