Pas de justice (climatique), pas de paix !

La guerre actuelle en Ukraine est une preuve supplémentaire du fait que l’industrie fossile est directement liée à des régimes criminels et autoritaires.

Nicolas Haeringer  • 9 mars 2022
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Pas de justice (climatique), pas de paix !
© Alexey Vitvitsky / Sputnik / Sputnik via AFP

La guerre que mène la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine a démarré au moment où le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) était en train de terminer le laborieux processus d’adoption du second volet de son sixième rapport, consacré aux impacts du changement climatique et à l’adaptation.

Rapidement, la climatologue ukrainienne Svitlana Krakovska, qui coordonnait la délégation ukrainienne dans cette assemblée (tenue intégralement à distance en raison de la pandémie de covid-19), expliquait que le changement climatique et la guerre « avaient tous deux la même cause profonde, […] notre dépendance aux combustibles fossiles ». Le consensus est, de fait, assez fort dès lors qu’il s’agit d’expliquer comment nous avons pu en arriver là.

Quoique ce soit moins discuté à ce jour, climat et guerre en Ukraine ne sont pas liés qu’en termes de causes : la paix ne peut être pensée et construite qu’en lien étroit avec la question de la justice climatique.

La coïncidence suivante n’a guère été discutée, elle est pourtant révélatrice : la guerre a débuté au moment même où un Prix Nobel de la paix achevait ses travaux. Le Giec a en effet reçu le prix Nobel de la paix en 2007 : ainsi, il ne serait pas qu’une institution de recherche sur le climat, mais un acteur majeur du maintien de la paix. Au moment où Rajendra Kumar Pachauri prononçait son discours d’acceptation du prix devant l’académie Nobel, plusieurs centaines de militant·es rassemblé·es à Bali – en marge de la COP 14 – créaient une coalition internationale pour la justice climatique – « Climate Justice Now ! ». Au cours des quinze dernières années, le mouvement pour la justice climatique a réussi à bloquer de nombreux projets d’infrastructures liés aux combustibles fossiles – pipelines, centrales au charbon, pistes d’aéroport, etc. Des projets d’infrastructures que nous qualifions souvent, dans le mouvement, de « bombes climatiques ». Une façon implicite de dire que le changement climatique pourrait s’apparenter à une guerre.

Géopolitique

Il aura cependant fallu du temps pour que ce mouvement devienne réellement massif et soit capable de mobiliser des millions de personnes. En septembre 2019, 7,5 millions de personnes sont ainsi descendues dans les rues du monde entier à l’appel des jeunes grévistes pour le climat. Soit la plus grande manifestation mondiale jamais organisée – avec les marches mondiales contre… la guerre en Irak de février 2003. Depuis le début de la guerre, ce sont les mêmes jeunes grévistes du climat qui sont à l’origine des mobilisations les plus massives : 500 000 personnes à Berlin fin février, et plus de 100 000 à Hambourg le 3 mars.

Il convient alors d’admettre que la paix comme la justice climatique n’ont rien à voir avec la neutralité. La guerre actuelle en Ukraine est une preuve supplémentaire du fait que l’industrie fossile est directement liée à des régimes criminels et autoritaires.

Le mouvement pour la justice climatique a trop souvent laissé de côté la question géopolitique. Pourtant, les obstacles à une transition vers les énergies renouvelables n’ont jamais été techniques, ni financiers, et encore moins sociaux. Ils ont été, avant tout, géopolitiques : les (super)puissances existantes sont enclines à forer, extraire et brûler davantage de combustibles fossiles parce que ces derniers sont à l’origine de leur pouvoir. Elles considèrent la transition comme une menace pour leur rôle et leur statut sur la scène internationale.

Les seuls qui ont un intérêt réel à maintenir le statu quo énergétique sont les ultra-riches, les oligarques, les 1 %. Dans cette perspective, la paix sera obtenue par la capitulation de l’industrie fossile : il n’y aura pas de paix dans un monde où Gazprom, Exxon, Total, BP, etc. et toutes les institutions financières qui soutiennent leurs activités sont autorisés à extraire, transporter et brûler des combustibles fossiles.

En tant que mouvement pour le climat, il est probable que nous ne puissions pas faire grand-chose directement contre la guerre actuelle contre l’Ukraine. Mais lutter contre l’industrie fossile est une façon d’essayer de contribuer à créer les conditions de la paix.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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