Cannes 2014 : « Still The Water » de Naomi Kawase ; « Deux jours, une nuit » de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Christophe Kantcheff  • 21 mai 2014
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Cannes 2014 : « Still The Water » de Naomi Kawase ; « Deux jours, une nuit » de Luc et Jean-Pierre Dardenne

« Still The Water » de Naomi Kawase

Illustration - Cannes 2014 : « Still The Water » de Naomi Kawase ; « Deux jours, une nuit » de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Deux films magnifiques en compétition aujourd’hui, dans des genres très différents : Deux jours, une nuit , des Belges Luc et Jean-Pierre Dardenne, et Still The Water , de la Japonaise Naomi Kawase.

Naomi Kawase est une cinéaste panthéiste. Chez elle, l’homme se fond dans le grand univers de la nature, qui peut être vue comme une divinité. La forêt de Mogari (2007, qui a remporté le Grand Prix à Cannes en 2009) exprimait déjà ce sentiment. C’est le cas plus encore dans Still The Water . En partie parce qu’elle a tourné ce film dans l’île d’Amami, où la présence et la beauté de la nature sont éclatantes, et où la cinéaste a découvert il y a quelques années que ses ancêtres y avaient leurs origines.

Dans le petit texte qu’elle a écrit pour le dossier de presse, Naomi Kawase évoque le bruit sourd des vagues, et se demande si ses ancêtres ont entendu ce bruit de la même manière qu’elle. Voilà qui donne une bonne idée de ce qu’est Still The Water . Le film résonne avec cet état d’âme, que l’on a tous partagé au moins une fois, où, face à un paysage, la conscience nous vient que dans cent, cent cinquante ans, les montagnes, ou la mer calme ou tumultueuse, qui se trouvent face à nous, seront toujours là quand nous aurons disparu depuis longtemps.

Mais si la cinéaste reconsidère la place de l’homme dans un grand Tout, sa métaphysique ne ressemble en rien à celle d’un Terrence Malick : elle ignore, par exemple, tout discours démonstratif. Ce qui est frappant chez Naomi Kawase, c’est qu’elle interroge le mystère du monde au moyen de sa caméra, en silence. Elle filme non seulement la splendeur des vagues qui roulent, ou celle des fonds marins, ou les éléments torturés sous la fureur d’un typhon, mais, par son cadre, ses mouvements, la durée des plans, elle semble aussi toucher à l’éternité qui se déploie devant elle. Comment dire que ses plans de mer démontée ne sont pas beaux avant tout, mais qu’ils sont reconnaissants (où l’on retrouve dans ce mot, re-connaissant, le fait d’une transmission à travers le temps et les générations de la mémoire de ces paysages, transmission inconsciente, secrète, à l’insu de nous) ?

L’histoire que raconte Still The Water est réduite à l’essentiel. À partir de la découverte du cadavre d’un homme flottant dans la mer, dont on ne saura jamais rien, Kaito (Nijiro Murakami) et son amie Kyoko (Jun Yoshinaga) vont faire l’expérience des limites de la vie, ce qui va leur permettre d’ouvrir la leur. Les limites de la vie, c’est, par exemple, un amour qui s’est achevé, comme cela a été le cas des parents de Kaito, qui vivent séparés. Kaito supporte mal l’idée que sa mère puisse avoir de nouveaux amoureux, parce qu’à ses yeux, l’amour ne peut s’interrompre. Les limites de la vie, c’est également la maladie incurable dont souffre la mère de Kyoko, et sa mort annoncée. Ou le sacrifice d’une chèvre, dont l’âme s’échappe devant les yeux de Kyoko.

Le cinéma de Naomi Kawase passe donc aussi par des expériences humaines fondamentales. Les séquences avec la mère de Kyoko, notamment celles où elle agonise après avoir demandé un chant qui la ravit, sont d’une extraordinaire douceur dramatique. Kaito et Kyoko font ainsi l’apprentissage de la non-éternité, en même temps que le film suggère que rien ni personne ne disparaît complètement. Le vieux Kamejiro (Fujio Tokita) n’est-il pas troublé quand il croit revoir une très ancienne jeune femme alors qu’il a face à lui l’arrière-petite-fille de celle-ci ? Kaito et Kyoko doivent connaître et même accepter ces fins douloureuses pour consentir à la vie et s’engager dans leur amour.

Still The Water* est tout simplement** un film merveilleux, au sens plein du terme, où les femmes, Kyoko la première, ont une force particulière. Il faut se rendre disponible pour en accueillir l’intensité, qui peut paraître ténue aux spectateurs distraits. On en est mille fois récompensé.

« Deux jours, une nuit » de Luc et Jean-Pierre Dardenne

**Sortie en salles aujourd’hui de *Deux jours, une nuit, film stupéfiant où quelques pas de Sandra-Marion Cotillard, se dirigeant vers la maison d’un de ses collègues qu’elle va devoir convaincre de renoncer à sa prime, exprime toute l’anxiété et le courage qu’elle convoque en elle. Pour en lire la critique, je vous invite à vous rendre ici.

Temps de lecture : 4 minutes
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