Actionnariat, nouveau front climatique

Avec la saison des assemblées générales, les dirigeants des grandes entreprises doivent rendre des comptes et présenter leur stratégie. L’édition 2022 permettra-t-elle des avancées significatives en matière d’environnement ?

Lucie Pinson  • 18 mai 2022
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Actionnariat, nouveau front climatique
© Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Après tout, cela s’est déjà produit. Si les coups d’éclat sont rares dans cet exercice ultra-chronométré, ils n’y sont pas extraordinaires et certains dirigeants d’entreprise profitent des assemblées générales des actionnaires pour annoncer de nouveaux engagements en matière de lutte contre le dérèglement climatique. C’est ainsi, pendant son AG de mai 2015, que le Crédit agricole a annoncé devenir la première banque au monde à ne plus financer de nouvelles mines de charbon ; c’est lors de celle de BNP Paribas que son PDG s’est engagé, en 2017, à définir les règles, également uniques à l’époque, de ce qui allait devenir sa politique sur le pétrole et le gaz. Ces mesures, alors louables, pèsent pourtant peu face à l’ampleur des transformations à opérer pour éviter le chaos climatique.

Cette année, les acteurs financiers, qui ont globalement effectué le travail sur le charbon, sont attendus sur la question du pétrole et du gaz. Car presque tous, y compris BNP Paribas, soutiennent toujours l’expansion de ce secteur, en contradiction avec leurs propres engagements et surtout avec les recommandations des scientifiques du Giec et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette institution, qui a toujours tenu lieu de guide suprême pour les décideurs économiques et financiers, a publié en 2021 une feuille de route traçant un chemin vers la neutralité carbone suivant une trajectoire à 1,5 °C. Le diagnostic est clair : aucun nouveau projet de production pétrolière et gazière n’y est autorisé. Mais voilà, les acteurs rechignent à donner suite à ces recommandations, quand bien même ils se sont engagés à aligner leurs portefeuilles financiers avec ces objectifs climatiques.

425 mégaprojets fossiles menacent de consommer deux fois le budget carbone pour maintenir le réchauffement à 1,5° C.

425 mégaprojets d’énergies fossiles, qualifiés de bombes climatiques, menacent de consommer deux fois le budget carbone disponible pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C. Face à ce danger, le directeur général de l’AIE, Fatih Birol, a réitéré l’appel à cesser cette expansion, et l’agence multiplie les prises de position et publications, précisant que, même dans le contexte actuel de la guerre menée par la Russie en Ukraine, les solutions ne se trouvent pas dans davantage d’énergies fossiles. Mais la majorité des acteurs financiers français choisissent la cécité volontaire face à cet impératif.

Aucune des grandes banques françaises n’a renoncé à financer de nouveaux projets de pétrole et de gaz, et même les groupes Crédit mutuel et La Banque postale tardent à appliquer leurs engagements climatiques. Axa compte uniquement arrêter les nouveaux projets pétroliers, mais pas gaziers… en 2024. Et des exceptions sont « autorisées » pour les entreprises « en transition ». Car oui, d’après Thomas Buberl, directeur général du groupe Axa, que j’ai pu interroger fin avril pendant son assemblée générale, les entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles peuvent être en transition. Non seulement le géant de l’assurance a raté une occasion d’adopter une mesure annoncée le lendemain par son concurrent Allianz – à savoir la fin de ses couvertures d’assurance pour de nouveaux projets pétroliers et gaziers –, mais il a ainsi fait le jeu des climatosceptiques. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le qualifierait lui, de menteur.

Ainsi, les attentes de la société civile pour les assemblées générales de 2022 sont modestes. À défaut d’obtenir la cessation immédiate de ces soutiens à l’expansion pétro-gazière, l’ONG Reclaim Finance [créée par l’autrice de cette chronique, NDLR] se rend à ces événements pour appeler leurs dirigeants à, a minima, reconnaître l’impératif de cesser cette expansion et s’engager à adopter d’ici à la COP 27 des mesures permettant de tendre vers son respect.

La deuxième attente de l’ONG est tout aussi modeste : que les grands investisseurs usent de leur pouvoir d’actionnaire pour pousser les énergéticiens à aller plus loin face à l’urgence climatique. Parmi eux se trouvent TotalEnergies, qui sollicite l’avis de ses actionnaires sur son plan climat. Une coalition de centaines d’investisseurs, parmi lesquels se trouve Amundi (filiale du Crédit agricole, deuxième actionnaire de TotalEnergies et premier gestionnaire d’actifs en Europe), a conclu que la major française, qui développe le très controversé projet Eacop en Afrique de l’Est, n’a pas de plan climat compatible avec l’urgence climatique. Le bon sens voudrait donc que les investisseurs votent contre ce greenwashing. Mais est-ce qu’ils choisiront le bon sens ou le camp des menteurs ? Réponse le 25 mai.

Par Lucie Pinson Fondatrice et directrice de Reclaim Finance, association affiliée aux Amis de la Terre France.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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