PS: derrière la façade

Michel Soudais  • 16 mai 2007
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Après plusieurs jours d’échanges aigres doux, le Bureau national du parti socialiste s’est engagé hier « à l’unanimité » à faire taire toute critique interne. Afin de préserver ses chances aux législatives, le PS ne pouvait pas faire autrement que décréter cette trêve. Reste à voir si les ténors socialistes s’y tiendront. Depuis le 6 mai, les précédentes tentatives d’afficher l’image d’un parti uni dans l’adversité ont échoué. Et le conseil national de samedi dernier a viré à la pantalonnade.

En guise de comité d’accueil, côté rue, quelques militants de la Segosphère et de Désirs d’avenir, emmenés par Thomas Hollande, faisaient leur première manif. En soutien à Ségolène Royal et contre les « dirigeants » du PS. Ambiance.

Comme les grands festivals, le PS a son IN et son OFF. Jusqu’en septembre 2005, les réunions du conseil national, le IN, se jouaient à huis-clos en vertu d’une tradition qui remonte aux temps mitterrandiens. A cet époque, le comité directeur (c’était l’ancienne appellation) avait des débats. Le mot lui-même n’était pas usurpé puisque les discussions pouvaient durer deux jours. Cantonnés dans les couloirs, les journalistes recueillaient les confidences des participants et généralement n’ignoraient rien de ce qui se disait d’important dans ce cénacle.

Depuis que les séances du conseil national sont expédiées en quatre heures d’horloge, depuis qu’il ne s’y passe plus rien, les journalistes sont autorisés à assister au IN. A l’unique condition de ne faire usage d’aucun moyen d’enregistrement. Mais c’est à l’extérieur, depuis quelques années déjà, que se dit l’essentiel. C’est en effet dans les couloirs des sous-sol de l’Assemblée national ou sur le trottoir du palais de la Mutualité, suivant le lieu retenu pour cette réunion, que les dirigeants socialistes ont pris l’habitude de livrer leurs petites phrases ciselées ou leurs déclarations les plus fracassantes. Rendant ainsi le OFF plus spectaculaire.

Mme Royal joue l’opinion contre le parti

Parfaitement au fait de ce code, Ségolène Royal a magnifiquement joué des deux scènes, samedi dernier. Montrant à l’occasion un souverain mépris des instances de décision collective du PS.

Côté IN , l’ex-candidate, qui s’exprimait la première, s’est acquitté d’un discours d’une dizaine de minutes. Face à une salle désignée par Vincent Peillon, l’un de ses ex-porte-parole, comme «apparatchikland» , Ségolène Royal prononce pour la première fois le mot « défaite » mais sans la moindre autocritique. Assure que le vote qu’elle a recueilli « contient des perspectives » . Renvoie au lendemain des législatives l’examen des critiques qu’elle entend ici et là. Juge inutile tout débat qui porterait sur le fait « de savoir s’il faut être plus ou moins à gauche » . Invite les socialistes à « être cohérents, et (…) disciplinés » .

« Pour l’avenir , glisse-t-elle en guise de conclusion, sans anticiper les échéances, il est clair qu’il faudra réformer notre calendrier. D’abord, que le projet pour l’élection présidentielle ne soit pas fait avant, mais après la désignation de notre candidat ou de notre candidate pour qu’il y ait une cohérence. Ensuite, il faudra que le processus de désignation interne ne soit pas situé aussi près du combat principal et ne pas laisser un certain nombre de séquelles ou d’utilisations du combat interne utilisées par la droite. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler, et d’en reparler sereinement. » L’occasion n’a pas tardé. Il n’est pas certain que la sérénité y ait gagné.

Côté OFF , Ségolène Royal a en effet lancé une petite bombe. Sans égard pour ses petits camarades, elle a quitté la salle, sitôt achevé le discours de François Hollande. Devant une nuée de micros et de caméras, elle précise cette fois le calendrier qu’elle souhaite. Elle réclame que le prochain ou la prochaine candidate « soit désigné rapidement après les législatives et ensuite que le projet soit élaboré avec celui ou celle qui sera chargé de la porter » . En clair, elle veut que le candidat pour 2012, qui dans son esprit ne peut pas être quelqu’un d’autre qu’elle, soit désigné dès cet automne (ou au plus tard en 2008) et ait toute latitude pour élaborer son projet. Et s’adresse à l’opinion par dessus les instances dirigeantes de son parti. Bel exemple de discipline! Celui d’une adepte du «faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais»

Aveu d’incohérence avec le projet socialiste initial

L’aventure « royaliste » n’est pas seulement personnelle, elle est aussi idéologique. Poursuivant son propos, l’ex-candidate se plaint des critiques formulées par des socialistes, tout au long de la campagne, contre ce qu’elle disait, sur la valeur travail, l’ordre juste ou le refus de l’assistanat. « Tout ça , explique-t-elle, c’était des mutations idéologiques qu’il a fallu faire en rapidité dans le cours de la campagne et qui était parfois incohérent (sic) avec le projet socialiste initial. » Cet aveu d’incohérence n’a, étonnement, pas été repris dans la plupart des journaux [^2].

Les instances du PS contournées

En découvrant après coup ces déclarations à la presse, bien des membres du CN se sont sentis floués [^3]. A quoi sert le Conseil national du PS? A quoi riment ses «débats» quand l’essentiel des prises de position, des annonces et des controverses, se déroulent ailleurs.

Deux jours auparavant, Julien Dray , porte-parole du PS, avait estimé sur BFM radio et TV que «le rassemblement de la gauche tel qu’on l’a conçu dans les années 70 et 80 est obsolète dans la réalité électorale» . Reprenant à son compte la formule utilisée par Ségolène Royal d’une alliance «arc-en-ciel» , il appelait les socialistes à «concevoir les conditions d’un nouveau rassemblement majoritaire dans le pays» . Précisant même qu’à ses yeux le premier tour de la présidentielle prouvait que «la matrice qui a fait le Parti socialiste, c’est-à-dire le congrès d’Epinay, le rassemblement traditionnel de la gauche, a montré ses limites» . Cette analyse, en rupture avec 36 ans d’histoire du PS, méritait à tout le moins d’être discuté. D’autant que le député de l’Essonne, interrogé sur le lancement du Mouvement démocrate par François Bayrou, estime que ce dernier est «en train de larguer les amarres avec sa famille d’origine, la droite» , que «ce mouvement est irréversible» , et que Mme Royal a eu raison de parler d’ «un bout de chemin» à faire avec François Bayrou. Mais la discussion n’a pas eu lieu, Julien Dray préférant sécher la séance du conseil national.

Absent aussi, François Rebsamen , numéro deux du PS. Quelques jours plus tôt, ce proche de Mme Royal avait plaidé dans les médias pour des «désistements républicains» au soir du premier tour des législatives entre «tous ceux qui n’ont pas voté Nicolas Sarkozy» .

Vers 13 heures, quelques responsables socialistes découvraient un entretien de Jean-Marc Ayrault dans le journal Le Monde , tout frais sorti de l’imprimerie. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale y indiquait que son parti est prêt à examiner d’éventuels désistements en faveur du centre dans 10 ou 15 circonscriptions législatives «tout au plus» . Président de séance d’un jour, en l’absence de Gérard Collomb (autre partisan d’une entente avec François Bayrou), M. Ayrault n’en avait pas soufflé mot à ses petits camarades dans son intervention, un peu plus tôt.

La nouvelle stratégie sortie du chapeau de François Hollande

Le OFF s’est poursuivi dimanche sur le plateau de «France Europe express». François Hollande , qui était l’invité de l’émission de Christine Ockrent, a affirmé qu’après les législatives « il y aura des assises qui permettront de refonder un grand parti de la gauche » . D’où vient cette idée? Personne en tout cas, pas même le Premier secrétaire, ne l’a évoquée samedi lors des débats du CN.

Cela n’empêche pas François Hollande d’assurer que « les radicaux de gauche, les amis de Jean-Pierre Chevènement y sont prêts » et que les socialistes vont « le faire avec tous ceux qui le voudront » . « Il faut refonder la gauche, parce qu’on ne peut pas avoir un grand Parti socialiste » avec « des petites forces, des satellites autour de lui » , justifie-t-il. En plaidant pour « l’invention d’une nouvelle stratégie » ainsi résumé : « Un grand Parti socialiste qui couvre tout l’espace qui va de la gauche, sans aller jusqu’à l’extrême gauche, jusqu’au centre-gauche ou au centre. » Pas question pour lui de « sous-traiter, ni à une gauche radicale qui n’existe plus, ni à un centre qui, lui, existe » . « On va prendre tout l’espace » , annonce-t-il avec un bel appétit. ### « L’enjeu des prochaines élections – élections législatives, élection présidentielle de 2012 – c’est de constituer ce grand parti », a-t-il ajouté, appelant à « en discuter dans les mois qui viennent » . « La droite a su le faire » en créant l’UMP, a observé le numéro un socialiste. Comme si la création d’une UMP de gauche pouvait être le nouvel horizon de la gauche?

[^2]: Il figure néanmoins à la fin d’une video, visible sur le site de Rue89. En voici la retranscription intégrale: « Il faudra réformer le calendrier de désignation et que le candidat ou la candidate soit désigné beaucoup plus tôt et ne soit pas épuisé dans des querelles et des conflits internes, que le projet soit fait avec le candidat ou avec la candidate et pas avant. Donc il va falloir inverser et rendre cohérent le calendrier à l’intérieur du parti socialiste et ça le plus tôt possible. Que notre prochain ou prochaine candidate soit désigné rapidement après les législatives et ensuite que le projet soit élaboré avec celui ou celle qui sera chargé de la porter et que le processus de désignation interne qui a été destructeur d’une certaine façon puisque les attaques internes ont été ensuite reprises par la droite dans le débat principal. Ce calendrier-là doit être totalement modifié ou transformé. Et puis qu’il y ait une discipline parce qu’à droite la discipline a été sans faille. De mon côté, tous les matins, en ouvrant le journal je me demandais qu’elle était le socialiste qui allait porter une critique sur ce que je disais. Y compris sur des fondamentaux très importants, comme la valeur travail qui est une des réalités dont j’ai été la première à parler, il y a eu des critiques au sein du PS comme quoi c’était une valeur de droite, c’était très étonnant. L’ordre juste : j’ai entendu que c’était juste de l’ordre. Donc les fondamentaux de la société française tel qu’elle avait évolué, que j’avais comprise depuis longtemps ont été contesté même à l’intérieur du PS. Donc ça a déséquilibré aussi une campagne. Moi je crois que les Français ont besoin de règles. L’ordre juste c’était quelque chose d’essentiel, que l’ordre économique et social juste, notamment dans le domaine économique, social mais aussi pour la sécurité au quotidien, c’était fondamental, que la question de la lutte contre l’assistanat était essentielle. J’avais compris depuis très longtemps que les travailleurs les plus en situation de précarité ne supportaient plus que l’assistanat rapportait plus que le travail. Mais tout ça c’était des mutations idéologiques qu’il a fallu faire en rapidité dans le cours de la campagne et qui était parfois incohérent avec le projet socialiste initial. »

[^3]: C’est le cas notamment de Jean-Luc Mélenchon, qui l’écrit sur son blog.

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