Franchement contre la franchise

Professionnels de santé, syndicats et acteurs associatifs appellent à se mobiliser contre l’instauration de franchises médicales. Économiquement inefficace, cette mesure remet en cause l’égalité d’accès aux soins.

Jean-Baptiste Quiot  • 7 juin 2007 abonné·es

Avec la mesure des franchises sur les soins, le gouvernement veut faire basculer encore un peu plus la protection sociale vers un système de santé marchandisé » , s’indigne Didier Ménard, président du Syndicat de la médecine générale (SMG). Pour lutter contre cette réforme « qui met en péril l’accès aux soins pour tous », une quarantaine d’associations et de syndicats comme le SMG, la Confédération syndicale des familles (CSF), SUD santé, ou encore Attac, Act up et la FSU, ont lancé, mardi 12 juin, un appel contre ce projet. Leur objectif est de parvenir à organiser une « large mobilisation à la rentrée » pour empêcher une mesure qui devrait être votée lors de l’examen à l’automne du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

« Pour le moment, le gouvernement a annoncé qu’il mettrait en place quatre franchises non remboursées sur les premiers euros dépensés chaque année en examens biologiques, médicaments, consultations médicales et hospitalisations. Sur le niveau du plafond, on ne sait pas grand-chose. Mais s’il n’est pas significatif, cela n’a aucun intérêt. On peut donc craindre qu’il y ait un plafond pour chaque franchise et non un plafond général » , explique Didier Ménard. Ce système viendrait s’ajouter aux ponctions existantes. « Il existe déjà le ticket modérateur, le forfait hospitalier à hauteur de 16 euros par journée d’hospitalisation, l’euro versé par consultation médicale, les 18 euros pour les actes médicaux lourds et les dépassements d’honoraires qui peuvent s’élever jusqu’à 800 euros » , précise Jean Vignes, de l’Union fédérale Sud santé.

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la part des ménages dans le financement de la santé a augmenté de plus de 8 % en un an. « De nombreuses familles ne peuvent plus payer car, pour toucher la CMU, il faut être deux fois en dessous du seuil de pauvreté. C’est ce qui explique que des malades attendent parfois la dernière limite avant de consulter un médecin » , estime Emmanuel Rodriguez, de la CSF. Et parfois ce retard s’avère irréversible. « Monsieur L., 76 ans, avait des difficultés à uriner depuis un an. Mais il n’avait qu’une retraite de 600 euros par mois et pas de mutuelle. Ce n’est que lorsque les douleurs osseuses sont devenues insupportables qu’il s’est décidé à consulter. Trop tard, hélas, puisque les métastases osseuses de son cancer urinaire étaient là. Il est mort trois mois après » , raconte Philippe Foucras, du Comegas, le Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins.

Véritable catastrophe en termes de santé publique, la réforme des franchises s’inscrit dans une politique de « responsabilisation » économiquement inefficace. « Un patient n’est pas responsable de sa maladie. Il est en souffrance. C’est l’État et les médecins qui sont responsables », observe Jean Vignes. « C’est absurde de vouloir baisser les dépenses de l’assurance maladie en faisant payer tous les Français. Il faut savoir que 52 % des dépenses sont consacrées aux 5 % de la population que sont les grands malades. Si la Sécu est en déficit cette année de 5,2 milliards, c’est bien plutôt en raison des exonérations de charges patronales », accuse Didier Ménard. « Le trou de la Sécu est artificiel. Ça arrange le gouvernement : quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage » , ajoute Jean Vignes.

Les associations signataires de l’appel ont aussi des propositions à faire valoir pour combler le déficit de l’assurance-maladie. « Il n’y aurait pas de déficit si on s’attaquait au problème du chômage et si on arrêtait de baisser la part patronale dans la protection sociale » , rappelle SUD santé. Le fonctionnement du système de santé est également visé : « Au lieu de comparer les malades à des voi-tures (Lire aussi l’appel contre la franchise de Christian Lehmann et Martin Winckler, Politis n° 946 du 5 avril.), le gouvernement devrait prendre en compte ce qui s’avérerait le plus efficace du point de vue économique et du point de vue de la santé publique. Il faut d’abord redonner un pouvoir démocratique au conseil d’administration de la Sécurité sociale, et mettre en place une véritable politique d’éducation et de prévention. En effet, pour agir sur les dépenses à long terme, il faut réduire les causes des maladies. Si ce sont les 5 % de grands malades qui coûtent le plus, il faut agir en amont pour que ces gens ne tombent pas malades. Autrement dit, faire l’inverse de ce que propose le gouvernement avec les franchises, qui poussent les patients à retarder le moment de la consultation. C’est le cas, par exemple, avec la récente explosion du diabète, qui crée de fortes dépenses alors qu’on dispose des médicaments permettant de prévenir cette maladie. Ce problème de santé nécessite une révolution dans la méthode », explique Didier Ménard.

C’est un appel à la vigilance que lancent ces quarante associations, qui espèrent bien parvenir à faire barrage aux franchises.

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