Le sens de l’image

En cinq minutes chrono, suivant un montage remarquable,
ce sont 24 heures d’images. Tel est « Le Zapping » de Canal +,
une école du décryptage.

Jean-Claude Renard  • 4 janvier 2008 abonné·es

Les images se cognent, rencognent. Noël Forgeard présente sa feuille d’imposition à Benoît Duquesne dans « Complément d’enquête ». Il dit payer plus de trois millions d’euros. Suit un bref extrait de « La Roue de la fortune » où une candidate hurle sa joie de gagner mille euros. Retour de Forgeard : « Je gagne beaucoup d’argent mais par rapport à l’énorme préjudice que je subis depuis un an dans cette affaire, ce n’est pas une chance mais une énorme malchance. » Puis un extrait des « Chiffres et des lettres ». En six lettres : entubé.

Le jour suivant. Sarkozy accueilli sous les sifflets des marins pêcheurs ; un conseil pour top model : « Te laisse jamais mener par qui que ce soit et encore moins par ton ennemi ! » ; « Qu’est-ce qui a dit ça ? C’est toi qu’as dit ça ? Eh ben, descends un peu le dire ! » ; un match de foot : carton rouge pour un tacle violent ; Sarko et ses mesures réservées aux marins : « Ça vous va comme ça ? » ; l’humiliation des candidats par le jury du concours télé « Incroyables talents » ; « J’irai chercher ceux qui restent » , lance Sarko à propos de l’arche de Zoé ; « Y a des moments où la réalité dépasse la fiction ! » , s’exclame un membre du jury d’« Incroyables talents » ; le président tchadien stupéfait par la déclaration de Sarko ; la stratégie médiatique d’occuper le présent chez Sarko ; Lucchini faisant son show chez Fogiel ; Carole Bouquet poussant une colère : « Aujourd’hui, c’est profite et tais-toi ! » Ça cascade dru sur la gueule de l’écran. Un florilège d’images puisées dans les chaînes généralistes ou quelques autres du câble et du satellite. C’est « Le Zapping » de Canal +. Cinq minutes d’images au quotidien, cinq minutes qui fourmillent, foisonnent. À surtout ne pas voir comme un bêtisier.

Ils sont sept zappeurs arrimés devant le poste. 24 h/24 d’images. Soit cent dix à cent vingt heures de programmes ramenées à trois cents secondes, en une vingtaine d’extraits. Façon entonnoir. Présélection, sélection. Au montage, à la réalisation, Patrick Menais, devant le poste depuis 1989, à la naissance du « Zapping », à d’autres moments réalisateur des « Guignols » ou coauteur, avec John-Paul Lepers, de documentaires consacrés aux lois Sarko sur la prostitution, au commerce équitable et à Metaleurop.

Le principe du zapping, véritable exercice de funambule, impose une hiérarchisation, un équilibre à respecter. « On doit avancer dans les images , explique Patrick Menais, créer des résonances, des abîmes, des enchaînements. » De fait, l’essentiel côtoie le dérisoire, la violence succède à la frivolité, le superflu s’adosse sur l’âpreté. Dans un monde saturé d’images, où tout balaye tout, Patrick Menais remet de l’ordre. Il s’agit de « donner du sens au robinet , observe-t-il. Le zapping a une fonction de rewind qui permet de réfléchir dans le flux. Cela a partie liée avec la mémoire de la télévision, quand on est, précisément, dans un présent perpétuel » . De quoi analyser, après dix-huit années d’exercice, combien « nous sommes vraiment entrés dans une société spectaculaire, dans une réalité totalement situationniste » . « Le Zapping » : la partie pour le tout. Une métaphore en transe de séquences. Une Babylone de sens. Gavée d’éloquence.

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