Courrier des lecteurs Politis 1003

Politis  • 22 mai 2008 abonné·es

Avocat en Mai 68

Rien de très nouveau pour moi, en vérité… Tout ce que j’ai connu auparavant – puisqu’en 1968 je suis avocat depuis plus de quinze ans –, je le retrouve, en accéléré, avec les « événements » de Mai.
Marqué dans ma jeunesse par la résistance, heureux d’avoir assisté à la défaite des fascismes, j’espère, dans mes premières années de défense, en une société libérée, en particulier par le Droit, d’abord pour l’enfance délinquante, puis pour tous les autres.
Mes premières confrontations avec les juridictions de droit commun, puis avec les tribunaux militaires, me feront perdre rapidement bien des illusions. En visite quasi quotidienne en prison, je découvre l’injustice, la violence du système pénitentiaire ; je ressens profondément que l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, déclaration proclamée quelques années auparavant et affirmant le respect de la dignité de l’homme comme valeur essentielle, est constamment violé.
Je rencontre heureusement, et cela me réconforte et m’encourage, des femmes et des hommes admirables (visiteurs aumôniers, éducateurs, défenseurs, etc.) qui agissent utilement.
Je partage des défenses difficiles avec ceux qui ont été pour moi des modèles et des exemples : Pierre Stibbe, Yves Dechezelles, etc. Avec notre petite cohorte d’avocats, née et soudée pendant la guerre d’Algérie, nous sommes, en Mai 68, tous les jours mobilisés, au palais de Justice ou dans les facultés. […] Henri Leclerc défendra Alain Geismar ; Yves, Alain Krivine ; je défendrai Gilles Guiot : les militants nous font confiance, et, quelle que soit leur appartenance politique, nous les défendrons devant les tribunaux, souvent contre l’arbitraire de poursuites engagées pour l’exemple.
De nombreux étrangers, menacés d’expulsion, nous demandent de les assister : un jour, c’est un certain Dany Cohn-Bendit ; un autre, tel ou tel travailleur ou étudiant étranger. Nous prenons en ce domaine de l’expérience, nous en aurons besoin, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Politiquement, je comprends les colères, les révoltes sociales contre l’injustice, comme je me sens solidaire des « colonisés » et des peuples opprimés du tiers-monde.
Avec d’autres, j’ai défendu, pendant la guerre d’Algérie, des centaines de militants et de responsables nationalistes, détenus dans nos prisons et nos camps d’internement, puis des déserteurs américains de la guerre du Vietnam, des « indépendantistes » guadeloupéens, martiniquais, québécois, etc. […]
En août 1967, j’avais été envoyé par la FIDH en Amérique du Sud, dans la jungle bolivienne, à Camiri, pour tenter de secourir un ami du Che, Régis Debray, victime de sévices et détenu dans les pires conditions. J’étais alors accompagné par un magistrat italien et un avocat belge – nous étions déjà en pleine mondialisation, en particulier dans l’application nécessaire du droit.
Depuis dix ans, en France, à cette époque, nous vivons une situation sociale et politique bloquée, conservatrice, injuste pour les plus faibles : nous ne cessons de protester avec des amis incomparables, comme Claude Bourdet, Jean Rostand, Théodore Monod, l’abbé Pierre, etc., contre la folie criminelle de l’armement atomique, l’Apartheid en Afrique du Sud, les répressions que subissent, en France, tant de jeunes de 20 ans, objecteurs, insoumis ou déserteurs.
En Mai 1968, nous rejoignons évidemment les lieux essentiels de discussions, d’échange d’idées, les rues du Quartier latin, le Sorbonne, l’Odéon : là où « la parole se libère » […]. Tous les jours, nous sommes mobilisés pour des audiences correctionnelles de flagrants délits, nous nous mettons à la disposition de ceux qui sont menacés, et en même temps, à la Sorbonne par exemple, avec mes amis de la LDH, avec Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal-Naquet, nous tentons d’apaiser les exaltations de certains.
Je me souviens en particulier de rencontres assez tendues avec de jeunes paumés qui occupaient les combles de la Sorbonne (on les appelait les Katangais) et menaçaient de mettre le feu à l’université, ce qui ne nous paraissait pas un acte porteur d’avenir…
Je voyais aussi avec une certaine inquiétude se déchirer toute une série de groupes plutôt sectaires, obéissant à des idéologies en forme de révérences quasi religieuses pour des idoles devant lesquelles je n’avais pas du tout l’intention de me prosterner (Staline, Mao, Lénine, Trotski, etc.).
Le plus intéressant était la discussion avec des gens de tous milieux et de toutes origines qui, pour la première fois peut-être, prenaient publiquement la parole pour dire leurs préoccupations et leurs espérances.
Lors des grands défilés, nous allions, non pas en robe mais comme avocats reconnus, participer aux manifestations essentielles : les slogans « Nous sommes tous des juifs allemands » ou
« Le pouvoir abuse, le pouvoir absolu abuse absolument » nous convenaient alors parfaitement !

Les bruits les plus extravagants circulaient : on nous annonçait la mort par noyade de plusieurs étudiants qui auraient été jetés par la police dans la Seine, et nous nous souvenions du 17 octobre 1961. Je me vois encore, dans une voiture avec le journaliste Jean-Pierre Elkabbach et un cameraman, rechercher en vain des corps, du côté de Poissy et de Mantes.
Les problèmes de l’incarcération se posaient à nouveau à nous : les « politiques » emprisonnés faisaient alors connaissance avec les conditions détestables de détention des prisonniers à l’époque dits « de droit commun », nous avions avec eux de nombreux échanges sur ces problèmes et faisions en sorte que le sort des uns et des autres soit amélioré.
Mai 68 aura aussi laissé, jusqu’à aujourd’hui, des traces « juridiques » fondamentales : au sein du palais de Justice, nous constituerons le Mouvement d’action judiciaire (MAJ) et le Syndicat de la magistrature (SM)
À l’extérieur, avec des amis comme Michel Foucault, Jean-Marie Domenach, Louis Casamayor et beaucoup d’autres, nous créerons le GIP (Groupe d’information sur les prisons), le GIA (Groupe information asiles), le Gisti (Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), etc.

Je reste encore étonné par l’impact de Mai 68. En défendant, en septembre 1969, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, à 20 000 km de Paris, des étudiants kanaks emprisonnés (qui deviendront plus tard responsables du mouvement indépendantiste), j’ai appris que certains d’entre eux, à Paris, en Mai 1968, avaient participé au mouvement et s’étaient sentis alors mobilisés pour agir avec leur peuple et aller, s’ils le pouvaient, vers l’indépendance.
Après 1968, nos combats se prolongeront pour l’abolition de la peine de mort, l’abolition de la Cour de sûreté et des tribunaux militaires, la conquête de nouveaux droits, comme le droit au logement, mais ceci est une autre histoire, qui continue…
Jean-Jacques De Felice, Paris

La réforme ? Question de pédagogie !

Nous avons un ministre de l’Éducation nationale qui est là pour réformer. Sinon il serait aussi bien en retraite (c’est lui qui le dit). Cette belle volonté ne garantit pas qu’il y parvienne. Ainsi, sa réforme sur les programmes du primaire est loin de faire l’unanimité dans nos écoles (privées et publiques). Ce ministre de l’Éducation nationale est sans doute celui qui aura le plus tiré sur les pédagogues et la pédagogie. La recherche en pédagogie serait pour ce monsieur le seul domaine où les chercheurs n’auraient rien trouvé depuis quarante ans. Les scientifiques font avancer la science, les ingénieurs font avancer la technique, mais les pédagogues font reculer la connaissance… Sinon, pourquoi ce bon docteur Darcos nous propose-t-il des remèdes (déjà inopérants à l’époque) des années 1950 ? Je ne saurais trop lui suggérer de réfléchir à la durée de sa réforme. Dans quatre ans auront lieu de nouvelles élections ; une nouvelle majorité (hypothèse envisageable à défaut d’être certaine) fera très rapidement un sort à ces programmes 2008. Et le balancier repartira dans l’autre sens. Les enseignants continueront à faire leur petite tambouille en se disant qu’il vaut mieux se fier à leur propre expérience plutôt qu’à ces politiques qui n’y connaissent rien.
Pourtant, un autre scénario était possible. Les programmes 2002, écrits sous la même majorité présidentielle, élaborés après un large travail de réflexion, font consensus dans le métier (à l’exception d’une petite minorité bien introduite dans les milieux littéraires). Pour autant, ces programmes, exigeants, intelligents, etc. ne sont pas parfaits : des flous, des contenus à revoir, des méthodes à interroger, des cadres horaires à repenser, etc. laissaient un champ ouvert à des adaptations nécessaires.
On peut dès lors se demander pourquoi avoir tout balayé pour produire un texte aux accents réactionnaires qui aura une durée de vie limitée, là où, fort d’une concertation, on pouvait construire, améliorer et donc mener une véritable réforme appelée à durer. […] Changer les programmes aujourd’hui, de cette façon, c’est paradoxalement favoriser l’immobilisme : « À quoi cela sert-il de changer mes pratiques puisque dans deux ans, quatre ans, on me demandera de les modifier de nouveau ? » Nous avons un ministre qui n’aime pas les pédagogues, ce qui n’est pas grave. Il n’aime pas non plus la pédagogie, et cela est bien plus dommageable, […] surtout pour les élèves.
Didier Clech, instituteur, Brest (Finistère)

Les figures de Mai 68

Claude Frioux fut un émérite président de l’université Paris-VIII (cf. Politis n° 1000). Il reste un universitaire bien intentionné. Mais se rend-il compte qu’il conforte le mandarinat en opposant Deleuze et Kastler « défilant sur le bitume du carrefour Port-Royal » à « la lourdeur provinciale de Cohn-Bendit » ?
Lourd provincial que je suis, je me reconnais mieux dans le « sourire imbécile » du réputé contestataire que dans les figures « emblématiques » de ces illustres maîtres. Tant pis pour moi !
Didier Béraud, Feneu (Maine-et-Loire)
P.-S. : J’adhère par ailleurs au courrier « Rassembler à gauche » publié dans le même numéro, et je félicite Politis de passer un point de vue si contraire à ses positions dominantes.

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