La nécessité d’un sursaut

Invitées par le groupe GUE-GVN, présidé par Francis Wurtz, une trentaine de personnalités progressistes ont interpellé, ce week-end, la gauche européenne.

Michel Soudais  • 22 mai 2008 abonné·es

L’interpellation était directe : « Qu’attendez-vous de la gauche en Europe ? » Cette question, Francis Wurtz l’a posée à une trentaine de personnalités, le week-end dernier, lors d’une « conférence » organisée par le groupe de la Gauche unitaire européenne-Gauche Verte nordique (GUE-GVN), qu’il préside au Parlement européen, et l’association « Espaces Marx », présidée par Patrice Cohen-Seat. Non pour faire un énième colloque mais pour poser « un acte politique ». Des nombreux contacts que lui procure sa fonction, le député européen communiste fait un double constat : « La situation est grave. En matière sociale, économique, écologique et internationale, la gauche n’est pas à la hauteur des enjeux. » D’où son intention d’appeler à un sursaut en donnant la parole à des personnalités progressistes (syndicalistes, intellectuels, responsables d’associations, députés européens des trois groupes de gauche) capables de nourrir le débat ­d’idées. Avec l’espoir de rendre incontournables quelques questions clefs.

Illustration - La nécessité d’un sursaut


Patrice Cohen-Seat et Francis Wurtz, lors de la « conférence » organisée à La Villette, à Paris. Michel Soudais

Le premier constat est cruel. Dans plusieurs pays, la gauche est en passe de disparaître, comme en Pologne, où, « créditée de 7 % dans les sondages, elle risque d’être éliminée de la Diète » , avertit la Polonaise Nina Sankari, responsable du réseau Initiative féministe européenne. C’est déjà le cas en Italie, note amèrement Ricardo Petrella : « Pour la première fois depuis plus d’un siècle, le Parlement italien ne compte plus un seul élu de gauche » , déplore le secrétaire général du Comité international pour un contrat mondial de l’eau. Les partis sociaux-­démocrates qui, il y a dix ans, gouvernaient, seuls ou en coalition, treize des quinze pays de l’Union européenne ont depuis enregistré défaite sur défaite. « Nous n’avons pas assisté à la défaite de la gauche, mais à sa disparition » , nuance l’économiste Samir Amin. Elle a cédé la place à une « gauche quantitative » caractérisée par un « glissement progressif du social au caritatif » , déplore Robert Guédiguian.

Le cinéaste, signataire avec plusieurs intervenants de l’appel de Politis , attend donc de la gauche « qu’elle renaisse de ses cendres » et « se définisse par une proposition alternative au monde dans lequel nous vivons », qu’elle avance « la conception nouvelle et inédite d’une société socialiste » . Comme lui, plusieurs participants à cette réunion attendent déjà que la gauche existe. « On a besoin d’une gauche qui relaie les luttes des salariés », risque le secrétaire du comité d’entreprise européen ­d’Alcatel, Alain Hurstel (CFDT). « Aujourd’hui, il y a besoin de la gauche en particulier » pour « refuser la guerre et l’occupation militaire » en Palestine, lance Leila Shahid, déléguée générale de la Palestine pour l’Europe, en rappelant le rôle joué par la gauche dans la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Le propos est mesuré. Bien moins diplomatique, Régis Debray raille une gauche qui, « au fond, rallie l’Empire » avec « pour la première fois un PS pro-impérialiste » ; une ­gauche « phagocytée par l’air du temps » et dont la « vision du monde est totalement américaine ».

« La gauche a perdu la bataille idéologique » , constate l’essayiste Susan George. « Le capitalisme a pris le pouvoir sur les âmes » , abonde le philosophe Bernard Stiegler, qui invite la gauche à « réarmer sa pensée » , à ne plus « renoncer à la théorie » et à « repenser totalement le modèle industriel » . La cégétiste Maryse Dumas lui fait écho, qui trouve « ahurissant que la gauche, qui s’est construite sur la question du travail, des inégalités sociales et du rapport entre capital et travail, ne soit pas capable de produire un discours sur cette question-là ».

Sur un plan plus pratique, le secrétaire général du syndicat allemand des services VerDi, Frank Bsirske, appelle à reconsidérer la dimension sociale dans la construction européenne et suggère de mettre en place « un lien étroit entre le PIB par habitant et le taux de prestations sociales » pour « mettre un terme au dumping social », une sorte de « pacte de stabilité sociale ». Une mesure bien dans l’esprit du « réformisme de gauche » que le sociologue Robert Castel suggère d’opposer à ce qu’il appelle le « contre-réformisme de droite » (celui de Nicolas Sarkozy, notamment), et qui, dans son esprit, doit « domestiquer le marché » par la « référence au droit » et « redéployer les droits sociaux ».
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Convaincue de la nécessité d’une gauche qui soit une vraie gauche, Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, estime *« important de faire converger ceux qui privilégiaient la question sociale et les apports du mouvement écologiste »
ainsi qu’établir « un lien entre les mouvements sociaux et les organisations politiques » . Tout en ayant éprouvé la difficulté à construire une gauche européenne, qui se garderait du social-libéralisme et du repli sur l’échelon national, elle insiste sur « l’importance de la question des alliances » qui doivent être « les plus larges possibles ».
« Faire sauter les clivages et réfléchir librement sans entrave » , c’était bien l’objectif des organisateurs. Un site Internet doit assurer la diffusion de ces appels au sursaut et lui offrir un prolongement avec la mise ligne progressive de soixante-dix nouveaux ­témoignages.
Michel Soudais

Politique
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