Conversations sur un divin absent

Une belle mise en scène de la pièce de Mishima sur les femmes du marquis de Sade.

Gilles Costaz  • 9 octobre 2008 abonné·es

Six femmes en scène. En réalité, cinq femmes, le metteur en scène, Jacques Vincey, faisant jouer le rôle de la bonne par un homme travesti (Alain Catillaz). Cet aréopage féminin ressemble à un nid d’insectes. Chacune porte une coiffure immense et droite, et avance dans une crinoline transparente évasée. Elles ­parlent d’un absent. Le temps va passer : de 1772, il sautera à 1778 puis à 1790. Trois actes pour suivre la destinée de cet absent : le marquis de Sade.
Telle est la pièce de Yukio Mishima traduite par André Pieyre de Mandiargues, Madame de Sade, aujourd’hui représentée dans une nouvelle radicalité. Vincey a resserré le texte et pris un parti esthétique « à la croisée du ­théâtre japonais traditionnel et du théâtre français du XVIIIe siècle ».
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Celle qui est Madame de Sade est l’épouse du marquis, confrontée aux turpitudes de son mari et à ses arrestations. Mais les quatre autres femmes sont aussi des dames de Sade : Madame de Montreuil, la belle-mère, horrifiée par les agissements de son gendre et se réfugiant à l’abri de la religion ; Madame de Saint-Fond, qui se dit *« une autorité en matière d’immoralité »
; Anne-Prospère, la belle-sœur qui a cédé aux appels de son beau-frère ; et, enfin, la vertueuse Simiane. D’une manière glacée et souvent amusée, Mishima décrit l’évolution de chaque héroïne en s’inscrivant dans le courant de pensée qui relie l’expérience sexuelle à la folie mystique. L’épouse de Sade se donnera à Dieu, tandis que d’autres préféreraient profiter du retour en grâce du marquis, libéré par la Révolution de 1789.
Le spectacle, créé au théâtre Vidy à Lausanne, a su trouver la distance, la tension, la rhétorique gestuelle que nécessite un tel texte. Dans une atmosphère secrètement obscure, Marilù Marini, Hélène Alexandridis, Isabelle Mazin, Anne Sée et Myrto Procopiou, toutes remarquables, composent des mondaines bousculées par les drames intérieurs, les conflits et l’avancée du temps. Avec elles, Jacques Vincey a su dérouler un cérémonial jamais solennel.

Culture
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