Retour en grâce

Le nouvel album d’Aimee Mann se situe au niveau des meilleures productions de la lumineuse chanteuse.
Avec des chansons d’une infinie délicatesse.

Jacques Vincent  • 23 octobre 2008 abonné·es

Aimee Mann ne sera jamais une star. L’industrie du disque ne s’est pas gênée pour le lui faire savoir assez durement il y a quelques années. Ce fut le moment le plus dur d’une carrière commencée il y a plus de vingt-cinq ans, avec le groupe Til’ Yuesday, et poursuivie en solo depuis le début des années 1990. La chanteuse s’est pourtant approchée de la gloire quand « Save Me », un morceau de Bachelor n° 2, a connu un grand succès lié au film Magnolia et décroché un Golden Globe puis un oscar.
Si elle n’est pas une star au sens où l’entendent les marchands, Aimee Mann compte d’autres réussites autrement plus parlantes à son actif. Comme la reconnaissance d’Elvis Costello. Ou cette revanche magnifique, après qu’elle a été éjectée du label Geffen (le même qui, en 1985, a intenté un procès à Neil Young pour un disque jugé anticommercial), quand elle a lancé son propre label pour distribuer ses disques via Internet, avant que l’ampleur de la demande ne l’amène à signer un contrat de distribution et relance sa carrière sur des bases plus solides.

Peu importe, les stars d’aujourd’hui ­n’écrivent pas de chansons qui ­possèdent le centième de la délicatesse des siennes. Mais on est tout de même un peu triste de constater que son dernier album puisse sortir dans une quasi-indifférence. Deux facteurs peuvent peut-être l’expliquer : d’une part, elle n’est pas venue en France depuis son dernier concert ; d’autre part, son ­précédent disque était moins convaincant qu’à l’accoutumée. On peut bien avouer maintenant que, malgré les bons moments dus à la patte et la voix de la chanteuse, ce road-movie sur fond d’histoires de boxe ne nous avait pas totalement passionné. On peut le dire d’autant plus tranquillement que ce nouvel album met en évidence, dès son introduction de velours, le problème essentiel du précédent : le son. La rythmique était trop lourde, comprenait quelques solos de guitare appuyés, qui ne sont pas des façons d’Aimee. Mais ce disque était une parenthèse, l’envie de faire autre chose, de travailler avec un nouveau producteur (Joe Henry). On ne lui reprochera évidemment pas cette escapade, mais on est content de la voir rentrer à la maison et retrouver son producteur habituel, Paul Bryan, qui a encore une fois réussi un travail de tissage d’une incroyable finesse et signe ici quelques arrangements de cuivres particulièrement soignés.
Du coup, on se sent également chez soi au milieu de ces chansons toujours chantées d’une voix craquante, qui ne racontent pourtant pas que des his­toires douces. Car Aimee Mann chante la vie, ses tristesses, ses désillusions, ses fêlures. Dans des chansons qui, par les rythmes, les mélodies, les chœurs, pourraient être comme des romances pop adolescentes s’il n’y avait cette gravité signalant une perte inexorable d’innocence. L’émotion qui s’en dégage n’en est que plus forte et plus durable.

Culture
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