« Des héritiers critiques de la Marche de 1983 »

Porte-parole
du Mouvement des indigènes de la République, Houria Bouteldja rappelle l’importance
de la Marche
pour l’égalité dans les années 1980.
Et s’interroge sur la situation actuelle de l’immigration post-coloniale.

Olivier Doubre  • 4 décembre 2008 abonné·es

Pourquoi le Mouvement des indigènes de la République tient-il à célébrer les 25 ans de la ­Marche pour l’égalité de 1983 (1) ? Revendiquez-vous cet héritage ?

Houria Bouteldja : Depuis le début, les Indigènes de la République s’inscrivent dans la filiation des luttes de l’immigration, anticoloniales ou anti-­esclavagistes. Or, l’une des luttes importantes est justement cette Marche, qui fut la première apparition publique de la seconde génération de l’immigration post-coloniale en France. C’est un tournant dans l’histoire récente, car cette génération n’existait pas politiquement : il n’y avait officiellement que des parents immigrés, censés rentrer par la suite dans leurs pays. Tout à coup, la France s’aperçoit que les enfants de cette première génération d’immigrés, souvent nés ici, vont rester. En outre, cette Marche s’inscrit dans un contexte de crimes policiers ou racistes, et quelques mois après le premier succès du Front national à ­l’élection municipale de Dreux, où le candidat RPR est élu en s’alliant avec le FN. Et puis, pendant la Marche, il y a le crime odieux du train Bordeaux-Vintimille, quand deux légionnaires ­défenestrent un jeune Maghrébin. Face à cela, une marche pacifique est donc organisée pour réclamer une véritable égalité citoyenne.

Les marcheurs revendiquaient-ils les mêmes ­choses que vous aujourd’hui ?

Oui et non. Oui car l’exigence de citoyenneté reste la même. D’autre part, nous avons la chance de bénéficier de l’expérience acquise par nos aînés et du bilan de cette période dressé par certains des initiateurs eux-mêmes. Parmi les acquis : la nécessité de l’autonomie et la défiance vis-à-vis des partis politiques.
Cela dit, nous sommes des héritiers critiques, du fait d’une différence fondamentale. Les marcheurs demandaient l’égalité citoyenne, le fait d’être simplement traités comme tout le monde. Parmi leurs revendications, il y avait le droit de vote des étrangers, qui était une promesse du candidat Mitterrand en 1981, jamais tenue. Ils se situaient donc à l’intérieur du cadre républicain. Or, nous, vingt-cinq ans après, nous sommes très critiques vis-à-vis du cadre lui-même, car pour nous il a été fondé en partie par l’empire colonial. Bien sûr, le terme « indigène » n’a pas le sens qu’il avait pendant la colonisation, mais il signifie que le racisme est structurel.
Nous ne revendiquons donc pas l’égalité dans le cadre de cette république mais, sans être contre la République en tant que telle, demandons la refondation de celle-ci. Au-delà des discriminations (au logement, au travail, dans les ghettos, etc) qui sont les plus visibles, il y a tout ce qui est véhiculé sur les Africains, les musulmans et ­d’autres, à travers les médias, dans le discours dominant : il s’agit d’un déni de dignité. En outre, nous sommes constamment suspectés de déloyauté au sein de la société, une sorte de cinquième colonne. C’est pourquoi un nouveau pas a été franchi ; à l’injonction d’intégration, nous répondons : libération !

Vous insistez sur la « question post-coloniale », thème qui n’était pas présent en 1983, alors que la guerre d’Algérie était moins éloignée dans le temps…

Effectivement, on était encore plein d’illusions. La conquête de l’indépendance signifiait, à cette époque, la fin de la colonisation. De nos jours, elle signifie davantage le début de la décolonisation, donc de l’ère post-coloniale. On se rend bien compte aujourd’hui de l’état du monde : la Françafrique, la départementalisation de Mayotte, l’occupation israélienne en Palestine, tout cela est de la post-colonisation, voire pour Israël de la colonisation tout court…

La Marche de 1983 a été qualifiée de « Marche des Beurs ». Vous contestez ce terme…

En effet. Cette Marche pour l’égalité et contre le racisme était une marche politique de jeunes issus de l’immigration, de diverses origines, qui exprimaient des revendications politiques et sociales. Rapidement, les médias la transforment en « Marche des Beurs ». Je rappelle qu’il y avait 100 000 personnes à l’arrivée à Paris en décembre 1983. Débaptiser la marche, c’est la folkloriser et l’ethniciser. La question raciale est dès lors posée car les marcheurs ne sont pas considérés comme des Français. Et le problème reste irrésolu car nous sommes passés de « Beurs » à ­« membres de la diversité ». Des synonymes politiquement corrects d’« indigènes ».

Société
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