Le sabordeur

Un documentaire consacré à Pierre Desproges, soulignant sa différence avec les humoristes actuels.

Jean-Claude Renard  • 18 décembre 2008 abonné·es

On a déjà beaucoup écrit sur Pierre Desproges. On l’a beaucoup vu aussi. Chaque nouveau documentaire renverrait presque à ses propres mots, sur scène : « Il y a une coutume du spectacle qui me gonfle singulièrement, et ça tombe très bien que je vous en parle aujourd’hui, c’est le rappel ! C’est complètement absurde. Dans la vie courante, quand un type finit son boulot… qu’est-ce qu’il fait ? Il dit au revoir et il s’en va ! Il ne revient pas ! On n’imagine pas un plombier ressonnant à la porte après avoir réparé une fuite, juste pour refiler un coup de clé de douze ! »
Bon, va pour un rappel. Et ce nouveau docu signé Yves Riou et Philippe Pouchain, Je ne suis pas n’importe qui. Où l’on retrouve le Desproges sale gosse, instable turbulent, canuleur déconnant avec la conscience de l’éphémère, taquinant tôt le vin rouge, amateur de Brassens (qui n’avale rien le jour de la mort de ce dernier mais reprend deux fois des moules à la disparition de Tino Rossi). Un Desproges à rebours des idées reçues, pas vraiment carpette.

Agrémentant leur documentaire d’images d’archives familiales tournées en Super 8, retraçant le parcours, de la guerre d’Algérie à l’Aurore, du « Petit Rapporteur » à la scène, s’appuyant sur les entretiens avec sa femme, les réalisateurs insistent sur le phrasé de Desproges. Surtout, ils disent le sabordeur, le bon vivant pessimiste. Qui rit de tout. Mais pas avec n’importe qui, selon son expression au « Tribunal des flagrants délires », quand il s’agit de Le Pen. Pas méchant, Desproges, et provocateur. Qui se moque des musulmans ne consommant pas de porc mais observe combien « les rues de Paris ne sont plus sûres le soir, les Arabes n’osent plus sortir seuls ». Ou se déguisant en Hitler. Dans cet exercice, les réalisateurs reprennent évidemment le fameux discours sur scène : « On me dit que des Juifs se seraient glissés dans la salle… Vous pouvez rester. N’empêche qu’on ne m’ôtera pas l’idée que durant la dernière guerre mondiale de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du règne nazi […]. Arborant une étoile à sa veste pour montrer qu’on n’est pas n’importe qui ! » Décapant, et sans contrainte. Sans ambiguïté aussi, déboutonnant le racisme et l’antisémitisme.

Hasard de la programmation ou pas (quoique les chaînes s’efforcent de pousser du côté du rire en période de fêtes, comme une sempiternelle dinde de Noël gavée de marrons), France 5 diffuse cette même semaine un documentaire consacré à « l’humour et la politique ». D’emblée, s’inscrit de part et d’autre une entente cordiale. Les politiques ont besoin d’humoristes. Et réciproquement. « Ça fait partie du métier » (ce que réfutait Desproges).
Santini, Charasse, Douste-Blazy, Boutin, Balkany, Raffarin. Tous pourvus de bonnes intentions face aux humoristes. Livrant ici une série de lieux communs. De l’autre côté, des humoristes qui se plaignent de personnalités aseptisées, de la langue de bois (celle, à vrai dire, qu’ils pratiquent eux-mêmes). De Roumanoff à Mabille (tous deux travaillent ensemble), de Gustin à Roucas, de Gérald Dahan à Florence Foresti. Qui jouent le rôle de fou du roi. Des humoristes qui ont au mieux le sens de la bonne formule. Mais sans musique, sans phrasé. Ni miracle alors. Une même platitude, trempée dans l’eau tiède. Tout le contraire de Desproges.

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