Bashung fait le mort

Le chanteur avait bâti une œuvre authentique : dense, aventureuse, sensible.

Éric Tandy  • 19 mars 2009 abonné·es

À l’annonce du décès d’Alain Bashung, survenu samedi 14 mars à l’âge de 61 ans, beaucoup d’« officiels » – comme Jack Lang, qui, décidemment, n’en manque jamais une – ont salué « la disparition d’un grand poète » . En fait, le chanteur écrivait très rarement les paroles de ses chansons. Il confiait cette délicate tâche à d’autres, comme Boris Bergman (à l’époque des premiers tubes comme « Gaby Oh Gaby » ou « Vertige de l’amour ») ou Jean Fauque (pour « Osez Joséphine »). Mais cette méconnaissance de la vraie nature du travail de celui qui, en trente années de vie musicale, a bâti une véritable œuvre, dense, aventureuse et sensible, est en réalité plutôt excusable. Car l’interprète de « Madame rêve » entretenait parfaitement le flou autour de sa création. D’abord parce que c’était quelqu’un de discret, mais aussi parce qu’il concoctait – comme tout chercheur – ses albums en secret et en équipe. Choisissant, au gré de ses envies, les bonnes personnes avec qui avancer artistiquement.

Un moment, il a souhaité travailler avec Gainsbourg (pour l’album Play Blessures ) ; une autre fois, il s’est tourné vers des musiciens new wave britanniques (pour Novice ). Et tout dernièrement (pour Bleu Pétrole ), c’est Gaëtan Roussel, de Louise Attaque, qu’il sollicita. Une façon de faire héritée du rock des années 1950, que Bashung connaissait par cœur, et de cette époque désormais lointaine où l’on cherchait à composer la meilleure chanson possible en réunissant autour d’elle le maximum de compétences.

D’ailleurs, il aura – même quand il se rapprochait musicalement d’un Léo Ferré – davantage emboîté le pas de certains aventuriers du rock ou du folk, comme Leonard Cohen ou Tom Waits, plutôt que de se satisfaire d’un conformisme « chanson française » prisonnier d’un certain calibrage. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dès l’album Roulette russe, en 1979, il attira à lui toute une partie d’une génération qui jusqu’ici ne jurait que par l’anglo-saxon. À l’époque, ceux qui aimaient Bob Dylan ou Elvis Costello se retrouvaient dans son langage et dans cette façon à la fois immédiate et tortueuse de raconter des choses.
Le « rocker littéraire », comme on l’appela un temps, n’imposait pas seulement une voix prenante et un accompagnement musical impeccable, il apportait en plus une vraie matière, forte et solide, que l’on pouvait sans cesse repasser au peigne fin en y découvrant toujours quelque chose de neuf. Une expérience impossible à tenter avec la chansonnette…

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