Contrôle de police

Dans son nouveau rapport, « France, des policiers au-dessus des lois », Amnesty International dénonce l’impunité dont bénéficient les forces de l’ordre dans notre pays.

Jean-Claude Renard  • 2 avril 2009 abonné·es
Contrôle de police

Arrestation, altercation. Mohamed Saoud est plaqué au sol, sur le ventre. Deux policiers le tiennent par les poignets et les chevilles, un troisième, agenouillé sur lui, appuie les mains sur ses épaules. Mohamed est maintenu ainsi pendant une trentaine de minutes. Il est immobile, cherche son souffle. Il meurt. Il meurt, à la suite de ce que les experts médicaux appellent « un arrêt cardio-respiratoire dû à une asphyxie lente ». C’était en novembre 1998. En oc­tobre 2007, la Cour européenne des droits de l’homme soulignait dans cette affaire qu’il y avait eu violation du droit à la vie, les policiers n’ayant pas relâché leur contrôle quand la victime était alors maîtrisée, ni apporté de soins. La Cour a vigoureusement critiqué les autorités françaises sur l’instruction et l’utilisation de ces méthodes d’immobilisation. En 2008, Abdelhakim Ajimi est mort dans des circonstances semblables.

Illustration - Contrôle de police

Le 24 janvier, des manifestants demandent une enquête après la mort en cellule d’Abou Bakari Tandia, interpellé pour un contrôle d’identité. Amnesty International

Il y a quatre ans, en 2005, Amnesty International publiait un rapport intitulé France, pour une véritable justice, relatant plusieurs cas de violations présumées des droits humains commises par la police. Homicides, usages excessifs de la force, actes de torture, mauvais traitements. Amnesty concluait sur l’impunité de fait dont bénéficiaient les policiers, sur les faiblesses de la législation, le manque d’empressement dans les enquêtes. Quatre ans après, rien n’a changé, sinon l’identité des victimes. En matière de police, l’histoire repasse les plats. Avec ses lots de violences, d’abus. Mais Amnesty n’entend pas brosser un portrait à charge de la police : « La tâche des responsables de l’application des lois en France est difficile et dangereuse […]. Il n’en demeure pas moins que des erreurs et fautes sont parfois commises. » Et cela dit, il y a assez de scandales dans la maison poulaga pour ne pas avoir à en rajouter. C’est là un rapport froid, façon médecin légiste. Qui fait froid dans le dos.
Amnesty s’appuie sur plusieurs sources : les témoignages directs au sein de l’organisation ; la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), organe de contrôle indépendant (mais non habilité à sanctionner) ; le Comité contre la torture ; le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) ; et enfin les rapports de médecins, tel celui du chef de service des urgences de l’Hôtel-Dieu à Paris, révélant qu’environ 5 % des détenus examinés se plaignent de maltraitance au cours de leur arrestation ou d’une garde à vue.

Avant de livrer le récit des violences et leur suivi, le rapport insiste sur les obligations des autorités françaises. « En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États sont tenus de respecter et de protéger le droit à la vie, de garantir la prohibition de la torture et des autres mauvais traitements. » La convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), que la France a ratifiée, pose les mêmes garanties, avec pour tout le monde « le droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale en cas de violation » . Et de préciser alors que le respect de ces exigences doit satisfaire à différents critères, dont l’indépendance à l’égard des institutions et de la hiérarchie sur les enquêtes relatives aux plaintes contre la police et, ­d’autre part, des procédures ouvertes et transparentes. Voilà pour le droit et les devoirs.

En France, toute personne qui veut déposer une plainte, sinon dans un commissariat, peut s’adresser directement au procureur de la République, habilité à ordonner une enquête, engager des poursuites. Celui-ci n’a pas de lien structurel avec la police mais travaille avec elle, via des organes chargés de faire respecter la loi, des mécanismes hiérarchiques de surveillance interne : il s’agit, au sein de la gendarmerie nationale, de l’Inspection de la gendarmerie nationale (IGN). La police nationale, elle, possède un service pour le ressort de Paris (IGS), un second pour le reste de l’Hexagone (IGPN). Trois structures susceptibles d’enquêter sur les éventuelles fautes de la force publique, des fautes disciplinaires aux cas présumés de torture ou d’homicide volontaire.
En principe, procureurs et magistrats sont indépendants, mais, en termes pratiques, s’en remettent aux officiers de la police nationale pour ce qui est des auditions ou de constituer des éléments de preuve. Les collusions sont donc légion. Mieux, même, rien n’interdit aux procureurs ou aux magistrats de charger d’une enquête des officiers de police issus du service incriminé.

Des circonstances qui renvoient à un certain sketch de Coluche, « le Flic » (1975), face à un beatnik. « On lui a cassé la gueule, on s’est marrés. Mais on fait gaffe. On tape avec le plat de la main dans les côtes. Ça fait vachement mal mais pas de traces. On n’a pas droit aux traces. Parce que les mecs, quand ils ont des traces, ils peuvent porter plainte. Remarquez, faudrait qu’ils viennent au commissariat ! Je les plains ! Dans l’ensemble, ils ne viennent pas ! » Le sketch de Coluche avait de quoi laisser rire. Sur le terrain, c’est exactement observé. Sans rigolade. Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, évoqué par Amnesty, « le principal obstacle à la lutte contre l’impunité provient d’un conflit d’intérêts intrinsèque » , forcément, quand se retrouvent enquêteurs et enquêtés dans le même panier. Balle peau pour l’intégrité, l’équité.

D’après les informations à la disposition de l’organisation, l’IGPN a été saisie de 663 « allégations de faits de violence », en 2005, menant à 96 sanctions disciplinaires pour « violences avérées », 16 ayant conduit à une radiation. En 2006, 114 sanctions disciplinaires ont été prononcées sur 639 plaintes, avec 8 radiations. L’écart entre les plaintes et les sanctions permet de s’interroger sur l’exhaustivité et l’impartialité des enquêtes. Un écart qui donne son titre au rapport, France, des policiers au-dessus des lois. Où règnent mauvaise foi et mauvaise volonté, des procureurs répugnant à entreprendre de réelles enquêtes, lenteur et procrastination, retards et disparition des dossiers, mutisme et solidarité entre collègues.

En témoigne l’histoire de Josiane Ngo, enceinte de huit mois, interpellée en 2007 pour « commerce ambulant », aussitôt frappée, conduite de force au commissariat, traînée par les cheveux, à nouveau battue dans le car de police, mise en examen pour outrage, non autorisée à voir un avocat ou à téléphoner. Ses plaintes au ministère public et à l’IGS ont été classées sans suite par le parquet. Idem pour Albertine Sow, sévèrement maltraitée et accusée de « violences en réunion ».
Au reste, les plaignants ne reçoivent jamais d’informations sur les enquêtes, ni leurs conclusions. À titre d’exemple (parmi d’autres), Amnesty cite le cas de Maulawi, réfugié afghan, maltraité par les forces de l’ordre après s’être vu infliger une amende dans le métro faute de titre de transport. D’abord menotté et battu dans une pièce aveugle du métro, menacé d’être renvoyé dans son pays d’origine. Puis transféré dans un commissariat, insulté, dans l’impossibilité d’appeler un avocat : « De toute façon, même si tu dis la vérité, on ne te croira pas. » Maulawi a déposé une plainte pour mauvais traitements auprès de l’IGS. Son avocat (comme le plus souvent expliqué dans ce rapport) lui a déconseillé d’aller au pénal, estimant qu’il n’aurait pas gain de cause. Il n’a jamais reçu de réponse.

En revanche, il a été condamné à un mois de prison avec sursis et une amende pour outrage et rébellion. « Classé sans suite », « outrage et rébellion » sont deux leitmotivs. Ou bien la plainte est contre-attaquée par des accusations de dénonciation calomnieuse et de préjudice moral. La diffamation pour clore tout conflit. À vrai dire, Maulawi n’a pas intérêt à broncher. Ces dernières années, Amnesty a reçu un nombre important de témoignages de victimes de représailles sous la forme d’arrestations ou d’inculpations injustifiées. Des mesures de rétorsion qui visent les plaignants ou simplement les témoins qui ont le culot de s’exprimer. Tel est le cas notamment de Fatima M’Baye, qui dénonçait les mauvais traitements subis par un Mauritanien expulsé.
C’est assez flagrant dans ce rapport : une large majorité de plaintes est portée par des ressortissants étrangers ou des Français « appartenant à une minorité dite visible » , laissant même « craindre l’existence d’un racisme institutionnalisé au sein des organes chargés de l’application des lois en France ».
Sans miracle ni surprise, les travaux menés par l’organisation et les conclusions des organes européens de défense des droits humains soulignent donc de graves défaillances. En pratique comme en théorie, rien n’est en place pour répondre aux violences, enquêter, juger. Ni le système pénal ni les dispositifs internes de la police. En France, rien n’est « conforme aux exigences du droit international » . À une époque où les réformes se bous­culent, il y aurait urgence à mettre en place une commission indépendante, dotée de pouvoir et de moyens efficaces, un organisme habilité à enquêter sur toutes les allégations de violations, où chaque citoyen aurait la capacité de s’exprimer sans en prendre plein la gueule en retour. Un vœu pieux, sans doute.

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