Droit d’inventaire et sortie de crise

La gauche doit se remettre à penser la possibilité d’une société alternative, où la lutte contre les inégalités, le respect des peuples, des cultures et de l’environnement constitueraient le cœur du projet.

Olivier Doubre  • 2 juillet 2009 abonné·es

Le constat est sévère, mais il sonne malheureusement juste : depuis près de trente ans, la gauche semble bien « s’être arrêtée de penser » . C’est par ce verdict sans appel qu’Alain Caillé et Roger Sue ouvrent leur réflexion pour mieux signifier la nécessité, pour la gauche, de « labourer en profondeur » les grands sujets qu’elle se doit d’affronter aujourd’hui, afin de pouvoir se mettre à écrire une « nouvelle histoire ». L’ « histoire » de la pensée de gauche se serait-elle donc arrêtée ? Les deux auteurs semblent le croire, vu le non-renouvellement de la culture et du discours « de gauche » depuis maintenant plusieurs décennies. Et de se remémorer « la vitalité et l’effervescence intellectuelles de l’après-congrès d’Épinay » , lorsque les courants au sein du Parti socialiste rivalisaient de « projets de société » alternatifs et que la concurrence faisait rage entre « première » gauche, jacobine et dirigiste, et « deuxième » gauche, décentralisatrice et autogestionnaire. Plus largement, ces gauches multiples irriguaient alors en propositions le débat politique et le débat d’idées sur lesquels elles exerçaient, face à une droite peu inventive représentant simplement le parti de l’ordre, de la gestion et de la conservation, une véritable hégémonie culturelle.
Depuis, avec l’effondrement du marxisme comme référence incontournable de la pensée de gauche et la reconquête intellectuelle menée par des think tanks néolibéraux disposant de puissants moyens, la gauche a perdu la maîtrise de la dynamique dans la bataille des idées. La chute du contrepoids à l’Occident capitaliste représenté par le bloc des « socialismes réels », qui alla de pair avec l’effacement du marxisme, doublée de l’épreuve des contraintes du pouvoir, a achevé de rendre la gauche « méconnaissable » , selon le mot du sociologue Christian Laval (voir ci-contre). Surtout, la gauche a cessé de se confronter aux grandes questions de son époque en coupant dans le même temps son « lien organique » avec les intellectuels.

Elle a désormais le devoir urgent de se remettre à penser la possibilité d’une société alternative, où la lutte contre les inégalités, le respect des peuples, des cultures et de l’environnement constitueraient quelques-unes des principales pistes de son projet. Pour ce faire, la pensée de gauche doit d’abord « revisiter les fondamentaux » , avant d’élaborer des propositions concrètes et novatrices. On doit à cet égard rendre hommage aux quelque 25 intellectuels rassemblés par Alain Caillé et Roger Sue pour avoir initié une telle dynamique de réflexion. Leur ouvrage, marqué par une discrète orientation « 2e gauche radicale », revisite en effet des concepts clés pour la pensée et la culture de gauche : d’ « associationnisme » (Philippe Chanial) à « travail » (Dominique Méda) en passant par « État » (Bernard Perret), « capitalisme cognitif » (Yann Moulier Boutang), « droits de l’homme » (avec une remarquable contribution de Justine Lacroix), « environnement » (Geneviève Azam), « libéralisme » (Serge Audier) ou « individualisme » (Philippe Corcuff), chaque thème fait l’objet d’un retour historique avant de proposer des pistes pour l’avenir. Or, si une certaine gauche (sociale-libérale) n’a retenu parmi les intellectuels que les « médiatiques » et les discours creux des talk-shows télévisés, on s’aperçoit, à la lecture de ce livre, qu’un « travail silencieux de recomposition de la pensée » de gauche est déjà à ­l’œuvre. Au travail, camarades !

Publié dans le dossier
Etre de gauche, c'est quoi ?
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