« Nos lieux interdits »

Jean-Claude Renard  • 1 octobre 2009 abonné·es

Le film de Leïla Kilani est dédié à la mémoire de Driss Benzekri, ancien prisonnier politique marocain, victime de dix-sept années d’incarcération arbitraire, décédé en mai 2007. L’hommage renvoie au passé, quand le Maroc accède à l’indépendance, en 1956. À l’orée des années 1960, plus encore dans les décennies suivantes, sous la poigne d’Hassan II, les autorités écrasent toute opposition, tout mouvement de contestation. Les groupes comme les citoyens, syndicalistes, politiques, intellectuels. Disparitions et détentions sont légion, étirées de quelques semaines à plusieurs années, dans des lieux tenus secrets. Casernes, villas, fermes, bagnes, hangars d’aéroport. À Tazmamart, à Agdz, à Kalâat M’Gouna et ailleurs. On enferme, on condamne, on exécute, au fil d’un affrontement froid. Motifs : « atteinte à la sûreté de l’État » ; « constitution d’associations illégales visant à renverser le régime » ; « actions ayant entraîné le désordre et le chaos ». Leitmotiv à la clé : destin inconnu.

En janvier 2004, le roi Mohamed VI annonce la création d’une « commission pour l’Équité et la Réconciliation », chargée d’enquêter sur la violence d’État. Driss Benzekri en sera le président éphémère. Il s’agit aussi d’établir la vérité, de donner réparation aux victimes. Officiellement, « l’objectif est que les Marocains se réconcilient avec eux-mêmes et avec leur histoire ». La Commission devra gérer quelque 30 000 dossiers. Mais, au sortir de ces décennies, c’est une histoire qui n’est pas écrite, se cherche, qui seulement se raconte, se livre du fond des mémoires meurtries. Leïla Kilani retrace ces années de plomb marocaines à travers les témoignages, face caméra, de victimes et de familles. Dont les mots butent sur la violence de la dictature, la crudité des souvenirs, s’effacent dans les silences, s’écrasent contre les murs des intérieurs modestes. Tandis qu’il n’y aura pas même l’écho des bourreaux pour répondre.

Culture
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