La démocratie sacrifiée

La réforme porte atteinte aux libertés publiques en rognant le pouvoir d’intervention des élus et, par conséquent, celui des citoyens.

Michel Soudais  • 19 novembre 2009 abonné·es

La réforme des collectivités territoriales marquera-t-elle un approfondissement de la démocratie ? Il n’y a guère que l’UMP pour le prétendre. Et arguer, à juste titre, que l’élection municipale à la proportionnelle de liste dans les communes de 500 à 3 500 habitants constitue une évolution positive. Néanmoins, toutes les autres formations politiques considèrent, à des degrés divers, que le projet gouvernemental muselle plutôt la démocratie.
Le mode de scrutin retenu pour l’élection des futurs conseillers territoriaux n’est pas seul en cause. Le développement de l’intercommunalité ne s’accompagne pas d’un mode d’élection qui autorise des débats contradictoires entre des projets alternatifs, même si les conseillers communautaires seront élus – c’est un progrès – en même temps que les conseillers municipaux, suivant un obscur système de « fléchage ».

Plusieurs éléments clés de la réforme sont caractéristiques de ce que le président de l’Assemblée des départements de France, le socialiste Claudy Lebreton, qualifie d’ « atteinte aux libertés publiques » , « liberté de voter les dépenses et les recettes de nos collectivités, liberté de choisir nos politiques territoriales en fonction de la spécificité de nos territoires, liberté de nous présenter devant les électeurs et de leur proposer des projets ».

La recentralisation, qui constitue la toile de fond des projets présidentiels, ne favorise pas la démocratie locale. Encore moins la démocratie participative. « Cette recentralisation est manifeste dans les dispositions concernant le Grand Paris, mélange de napoléonisme mal assimilé, d’arrière-pensées électoralistes et de faveurs pour la spéculation foncière », s’emporte Laurent Fabius. Elle est évidente quand le projet de loi stipule que c’est au gouvernement et aux préfets, et non aux élus territoriaux ou aux populations concernées, que reviendra la décision finale sur les regroupements de collectivités envisagés.

Mais l’atteinte la plus grave à la démocratie est sans conteste la suppression de la clause dite de «  compétence générale » pour les départements et les régions. Pour Nicolas Sarkozy, cette suppression est un « pilier » de sa réforme. Si elle était mise en pratique, cela interdirait aux régions et aux départements d’intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas expressément des compétences qui leur sont déléguées. Concrètement, explique Laurent Fabius, cela signifie que ces collectivités « ne pourront plus soutenir, même modestement, les associations locales, sociales, sportives, culturelles… qui, grâce à l’action d’animateurs bénévoles, se dévouent pour nos concitoyens ».

Cette suppression ne porte pas seulement atteinte au principe de libre administration des collectivités démocratiquement élues. Son impact est aussi un affaiblissement de la politique et du pouvoir des citoyens. Lors des élections locales, les candidats présentent des programmes qui affirment des choix et des priorités : ici la jeunesse ou la petite enfance, là les personnes âgées. Certains voudront favoriser les pratiques sportives, ­d’autres l’accès à la culture. La définition de politiques publiques, qui reste la vocation des collectivités locales, suppose la liberté de les élaborer et de les mettre en œuvre.

Lorsque les régions et les départements devront se limiter aux domaines d’intervention que leur aura autorisés la loi, quel pouvoir restera-t-il aux citoyens pour définir leurs aspirations et leurs besoins, et choisir des élus qui y répondent ? De quelles marges de manœuvre disposeront les élus, et à travers eux les électeurs, quand ces collectivités, comme le préfigure la suppression de la taxe professionnelle, seront privées de la liberté élémentaire de décider de leurs recettes autrement que de manière résiduelle ?

Publié dans le dossier
La contre-révolution Sarkozy
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