Les Indiens  sont de retour

Serge Latouche  • 22 avril 2010 abonné·es

On les croyait morts, à jamais disparus de la scène de l’histoire, entre génocides, pandémies étrangères, asservissements. Certes, on savait qu’une élimination « à basse intensité » se poursuivait dans les Amériques, quand on trouvait du pétrole dans les réserves, de l’or dans les parcs naturels, qu’on voulait construire un barrage hydroélectrique dément, ou plus simplement étendre les surfaces de soja pour développer les agrocarburants. Des Algonkins et Hurons du Nord-Québec aux Mapuches du sud du Chili, tracas, troubles et répressions n’en finissent jamais. Certes, d’un Benito Juarez (1806-1872) à Hugo Chávez, un leader sang-mêlé, bois brûlé, caboclo, bref un métis inquiétant malgré une forte acculturation, témoigne de créolisations irréversibles où seraient dissous les derniers gènes des Amérindiens. Toutefois, les Indiens, naguère « bravos », c’est-à-dire féroces, sont tous, ou presque, devenus « bons », c’est-à-dire morts.

L’existence d’une représentation mondiale des « peuples autochtones » (350 millions d’individus tout de même), bien que timidement reconnue par l’ONU mais sans pouvoir, ne change pas vraiment la donne. Et puis voilà que, des jungles du Yucatan, provint une incroyable nouvelle, très médiatisée : les Lacandons, authentiques descendants des Mayas, prirent le contrôle du Chiapas dans le Yucatan, sous l’impulsion d’un mythique sous-commandant Marcos et tinrent en échec le gouvernement mexicain. Mieux, ils se proclamèrent zone autonome, fondèrent l’université de la terre « Ivan Illich » à San-Cristobal, introduisirent une monnaie parallèle et construisirent une société de décroissance. Et puis, successivement, on apprend que la Bolivie vient d’élire un président indien, ex-planteur de coca, Evo Morales, et que l’Équateur a suivi le mouvement avec Rafael Correa.

Cette renaissance indienne a un retentissement dans tout le continent et renforce la détermination des Mapuches du Chili ou des Indiens de l’Amazonie péruvienne à défendre leurs droits et à lutter contre les projets de développement ethnocidaires.
La nouvelle constitution de l’Équateur se fixe comme objectif non pas le plus haut PIB par tête, mais l’idéal indigène du « Sumak Kausai », terme quechua signifiant le « bien vivre », décrit comme « l’ensemble organisé, durable et dynamique des systèmes économiques, politiques, socioculturels et environnementaux » . Comme en Bolivie, la nature est reconnue comme sujet de droit, au grand dam des compagnies minières étrangères qui lorgnent l’exploitation des « richesses naturelles ». La Constitution équatorienne déclare : « La nature, ou Pachamama, là où la vie se réalise et se reproduit, a droit au respect de son existence, de même qu’au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, structures, fonctions et processus évolutifs. » L’eau est déclarée bien commun, élément vital pour la nature et les humains. En conséquence, elle constitue un patrimoine inaliénable, accessible pour tous, non privatisable. Il en va de même pour la terre et la biodiversité. La conception industrialiste et prédatrice de la guerre à la nature est ainsi abandonnée au profit de la recherche de l’autonomie, de la souveraineté alimentaire et énergétique dans le respect de l’équilibre écologique. Le rejet du développement à l’occidentale et la reconnaissance des valeurs des sociétés indiennes traditionnelles sont une première étape de la décolonisation de l’imaginaire et de la sortie de l’impérialisme de l’économie.

La voix inattendue des Indiens ouvre une voie nouvelle. Bien sûr, tout sera fait pour la dévoyer, si on ne peut la réduire au silence. La rhétorique de « l’autre développement », de « l’économie solidaire » et du « commerce équitable », portée surtout par les experts « blancs » pleins de bonnes intentions, est déjà à l’œuvre pour éviter cette sortie de l’économie et la marche vers la décroissance. La Constitution équatorienne ne se propose encore que de « désactiver le néolibéralisme » . Cependant, selon la belle formule de Zola, « la vérité est en marche » et, espérons, « rien ne l’arrêtera » . C’est vital pour eux, pour nous.

Écologie
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