Courrier des lecteurs 1101

Politis  • 6 mai 2010 abonné·es

Nicolas Sarkozy a nommé préfet un ancien commandant du Raid. Les mauvais esprits penseront qu’il voit la Seine-Saint-Denis comme un grand centre de rétention. Ou les écoles comme autant de forts Chabrol. Il n’en est rien, il s’agit simplement de veiller sur la nécropole des rois de France.

Paul Oriol, Versailles


Il se passe des choses extraordinaires en Colombie en ce moment. Après huit ans d’Uribe (président guerrier et très libéral), le 30 mai, les Colombiens pourraient se retrouver avec quelqu’un comme Antanas Mockus comme président. Il a été le premier maire à se faire réélire à Bogota ; non seulement son bilan est surprenant et ses méthodes originales, mais, en plus, il est reconnu internationalement (même en France, où il a reçu un doctorat Honoris Causa de l’université Paris-VIII). Un philosophe qui met en pratique ses idées, et avec succès, ce n’est pas anodin, surtout en Colombie et surtout avec les idées qui sont les siennes.
Les enjeux de cette élection dépassent la Colombie, de loin ; la simple élection d’Antanas Mockus changerait la donne géopolitique en Amérique latine. Il est pour la légalisation de la drogue et n’est absolument pas à la botte des États-Unis, à la différence du président actuel.
Je ne trouve pas dans Politis de référence à ce personnage ou à son mouvement. Il faudrait en parler, non ?

Juan Felipe Chaparro,
Colombien du Loiret


Dans le n° 1099 de Politis , vous avez réalisé un entretien avec Alain Cambi, de SUD Rail, sur la grève à la SNCF. Je souhaiterais ajouter quelques précisions.
La SNCF a abandonné la notion de service public en ouvrant les activités fret à la concurrence européenne et s’apprête à faire de même pour les TER en 2010-2011, ceux-ci étant actuellement gérés par les régions, avec du personnel cheminot.
Elle supprime de nombreuses dessertes régionales en train pour les remplacer par des cars privés. Elle continue de supprimer des arrêts de train dans des gares.
Elle supprime « le wagon isolé fret », c’est-à-dire la possibilité pour les entreprises de charger un ou plusieurs wagons dans les gares pour ensuite constituer des trains complets. Cette mesure va mettre 700 000 camions en plus sur les routes, à l’opposé des préconisations du Grenelle.
C’est pour s’opposer à cette politique que les cheminots
se sont mis en grève le 6 avril. Il aura fallu quinze jours pour que la SNCF entrouvre un semblant de discussions nationales et régionales, les 21 et 22 avril.

Quelle a été l’attitude de la direction et du gouvernement ? Pratiquement muets, sauf pour dire : « Les discussions reprendront quand la grève sera terminée ! » Voilà pour le dialogue social ! Rappelons-nous 1985, 1995 et 2003, où s’était produit le même scénario.
Ce conflit a été mené de façon responsable par les cheminots avec SUD Rail et la CGT, avec des AG quotidiennes et des votes à bulletin secret dans les 25 régions et lieux de travail.
La direction SNCF a menti deux fois : sur les chiffres de grève (sous-estimés) donnés aux médias par Guillaume Pepy, le président de la SNCF ; et sur la mise en place d’une table ronde, remplacée par des bilatérales (chaque fédération a été reçue isolément).
Entre les provocations de Christian Estrosi, Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, et le mutisme des autres, « dits de gauche » (sauf le Front de gauche, qui a fait des communiqués de soutien), la grève a été suspendue le 23 avril pour la région de Chambéry, avant pour d’autres. Les organisations motrices étaient la CGT, SUD Rail et parfois la CFDT (la Fédération n’appelait pas à la grève), alors que l’Unsa, CFTC, FO, CGC n’ont rien fait.
Résultats : quelques promesses sur l’emploi ont été annoncées, mais pas à la hauteur du conflit.
Le malaise persiste sur la privatisation et le transfert à la route. Quant aux régions politiques et au TER, il faudra rester très vigilants.

Gérard Etellin, militant SUD Rail


Jury alibi Sur France 2, mardi 20 avril, un direct « interactif »
au théâtre : le procès Seznec.
Les téléspectateurs sont les jurés
et peuvent voter. Mais, dans un procès, on ne donne son avis
qu’à la fin. Ici, la pièce a à peine commencé qu’apparaissent déjà les indications pour s’exprimer,
et on peut le faire à plusieurs reprises. Et ce sont des appels surtaxés qu’il faut composer,
bien entendu ! Ce n’est pas ainsi qu’on fera mieux comprendre le fonctionnement de la justice aux téléspectateurs.

Bernard Hennebert, Bruxelles


Dans l’interview de Thomas Legrand parue dans le n° 1098 de Politis , […] celui-ci commence par dire que l’antisarkozysme est à côté de la plaque dans la mesure où Nicolas Sarkozy n’invente rien, prolongeant l’action des gouvernements Mitterrand et Chirac. La première chose qu’il oublie, ce courageux-mais-pas-téméraire journaliste, c’est le contexte. A-t-il noté que la crise économique s’accorde avec la crise de notre démocratie et la destruction des services publics ? Ce n’est pas anodin, pourtant, quand une économie dévastée fournit des millions de chômeurs en pâture aux entreprises, pour lesquelles on détricote gentiment le droit du travail.
Alors, quand il aborde la question des sans-papiers, c’est ubuesque : «  Nicolas Sarkozy ne fait pas grand-chose […]. E t quitte à choquer, je pense que, sur l’immigration, c’est pareil. Car, derrière, les préfets régularisent à tour de bras  […]. La chasse à l’homme existait aussi sous Chirac et sous Jospin. […] Notre tolérance à la chasse à l’homme a baissé à cause du discours outrancier. » On croit rêver ! Quand des parents sont expulsés à la sortie des écoles, quand des pièges sont orchestrés dans les préfectures, les postes et les banques ! On aimerait en voir moins, de tels journalistes qui n’ouvrent pas les yeux face à la réalité. Le film les Arrivants est arrivé à point nommé. Petits soldats de RESF, continuez à être outrés par le discours, mais pas par les expulsions… On comprend bien pourquoi Legrand ne choque personne dans son polissage de la réalité. Le reste est dit dans cette phrase : «  Je fais ce que je veux et en même temps je me limite. » Le documentaire de Pierre Carles, Pas vu, pas pris, illustrait déjà cette connivence, expliquant la censure comme naissant d’une collusion avec un corps de métier qui s’éloigne du peuple et rêve de reconnaissance. Cette censure s’intègre afin que, comme par enchantement, le journaliste enquête et discoure sur les sujets que sa direction lui demande de faire mais sans jamais le lui demander ouvertement. Prenons la situation inverse, quel journaliste, héraut des libertés et défenseur des plus faibles, aimerait travailler sous contrainte ? C’est la différence entre nos régimes démocratiques et les régimes totalitaires. Chomsky le rappelait sous cette formule en mai 2007 dans le Diplo  : « Quand des journalistes sont mis en cause, ils répondent aussitôt : “Nul n’a fait pression sur moi, j’écris ce que je veux.” C’est vrai. Seulement, s’ils prenaient des positions contraires à la norme dominante, ils n’écriraient plus leurs éditoriaux… Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas, et on s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement vigoureux. Au fond, c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires. »
Des journalistes critiquant la politique et les médias existent, voyez la dernière revue de Mouvements évoquée sur le site d’Acrimed. Stéphane Guillon se targue de ne pas faire de la politique mais il dérange, ça grince parfois ; or, est-il vraiment censuré quand il attaque Sarkozy, Besson et les autres ?

Claude Hercend (Charenton)

Courrier des lecteurs
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