Englués dans l’inaction

En Louisiane, seuls les écologistes dénoncent violemment la société BP et ses imprudences. La population est fataliste et les pouvoirs publics n’ont aucune solution en vue.

Claude-Marie Vadrot  • 6 mai 2010 abonné·es
Englués dans l’inaction
© PHOTO: SAMAD/AFP Merci pour son aide à Robert Thomas, directeur du Centre pour l’information environnementale de l’université Loyola de la Nouvelle-Orléans.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, habitants et pêcheurs du littoral de Louisiane ne partent pas en guerre contre la société BP, dont le puits de la plate-forme Deepwater Horizon, depuis l’explosion survenue le 20 avril, continue de libérer « environ 800 000 litres de pétrole » par jour dans le golfe du Mexique, à 70 kilomètres de la Louisiane. « Environ », car les responsables de la British Petroleum et de la société Transocean, propriétaire du forage, sont incapables de chiffrer avec précision l’ampleur de la fuite et de fixer un délai pour son colmatage. Transocean a décidé de laisser BP se débrouiller face à la Maison Blanche : longtemps immatriculée aux îles ­Caïman, cette grosse société de forage a transféré en 2008 son siège à Zoug, petit canton suisse défiscalisé, après avoir été dénoncée par une commission du Sénat américain.

Face au pétrole qui se rapproche des côtes, les Louisianais expriment plus de découragement que d’indignation : l’or noir fait partie de leur mode de vie, de leur culture et même de leur richesse ; il rapporte en effet à peu près dix fois plus que la pêche et le tourisme. Le lobby pétrolier, représenté par l’Association du pétrole et du gaz de Louisiane, a d’ailleurs lancé une discrète campagne de communication sur ce thème. Les pêcheurs qui cherchent à louer leurs bateaux pour lutter contre le ­désastre ont appris que ceux qui intentent un procès ne seront pas engagés. Et si le Président américain, après sa venue sur place dimanche, exprime un sentiment général en déclarant : « BP doit payer », BP et Transocean s’écharpent déjà en coulisse sur leur responsabilité financière.

En fait, seuls les écologistes locaux et nationaux, tout comme les journalistes environnementaux formés au Center for Environmental Communication de l’université Loyola de la Nouvelle-Orléans, accusent la compagnie pétrolière de négligences « criminelles » et réclament un moratoire sur les forages en mer, dont ceux autorisés en Alaska par Barack Obama le 31 mars. Ben Nelson, sénateur démocrate de Floride, a déposé le 29 avril un projet de loi visant à annuler les autorisations accordées. Avec d’autres élus, il rappelle que, « loin d’être une relique du passé, les fuites se produisent avec une fréquence inquiétante » , dénombrant quarante fuites de plus de 160 000 litres depuis 1964. Faisant écho aux écologistes, les parlementaires de la côte sud des États-Unis rappellent que BP et son foreur avaient refusé, en septembre 2009, de ­prendre des précautions supplémentaires, s’opposant à une législation plus contraignante ; ils avaient avancé alors que les mesures de sécurité devaient relever de leur seule initiative. Cette polémique feutrée passe désormais sous silence que onze personnes ont été tuées par l’explosion de la plate-forme et que BP avait alors assuré qu’il n’y aurait pas de marée noire. Alors que l’installation gisant par le fond à 1 500 mètres comporte un réservoir contenant plus de 45 000 m3 de pétrole.

Ce que ne peuvent avouer les politiques américains et les experts de la compagnie pétrolière, c’est qu’ils ne savent pas quoi faire pour arrêter l’hémorragie de pétrole brut et que toutes les tentatives et explorations débouchent pour l’instant sur une impasse technique. Dans moins d’un mois, le « record » détenu par la marée noire de l’ Exxon Valdez sur les cotes de l’Alaska en 1989 (en quantité de pétrole répandu) sera battu.

Écologie
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