L’Europe, pomme de discorde


Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 28 juillet 2011 abonné·es

Illustration - L’Europe, pomme de discorde


Nous étions mi-septembre quand vint au Conseil des ministres le point qui risquait de fâcher. Et qui fâcha : l’Europe. Il faisait chaud, l’été indien se prolongeait. Ce qui n’était point pour apaiser les esprits. Le Paris-Saint-Germain, champion de France l’année précédente, caracolait déjà en tête du championnat, fort des milliards d’euros investis par le Qatar. Ce qui avait créé une brève polémique à gauche. Tout comme le prix de l’Arc de triomphe, que Manuel Valls, dans une tribune à Libération, proposa d’interdire. Rendez-vous traditionnel des turfistes prévu début octobre, la grande course de galop était aussi, selon Valls, « une provocation des forces de l’argent dans une France en pleine crise sociale ». La droite, atone depuis le mois de juin, relevait péniblement la tête. Son nouveau chef de file, Jean-François Copé, qui avait pris les rênes de l’opposition après le départ de Nicolas Sarkozy à Saint-Barth, venait le week-end précédent de lancer un appel « pour un sursaut national ». Un grand rassemblement se préparait pour début octobre porte de Versailles. Le gouvernement avait, disait-on à droite, pris « la décision de trop » avec la constitution d’un secteur public bancaire. En attendant le retour d’une adversité de droite encore convalescente, l’ennemi gisait à l’intérieur. Et l’ennemi, c’était certains ministres écolos pour le Front de gauche, et le Front de Gauche pour certains ministres écolos. Fallait-il sortir du traité de Lisbonne ? Mélenchon l’avait promis. Duflot n’en avait jamais rien dit, mais Cohn-Bendit ou Lipietz, pour ne citer qu’eux, ne l’envisageaient pas une seule seconde.



Heureusement, ces premiers mois avaient aussi donné lieu à des décisions à caractère sociétal qui n’avaient guère fait problème. On plafonna les loyers. On fixa des normes très strictes aux hôtels meublés accueillant des personnes envoyées par le « 115 ». On veilla à ce que les enfants de ces familles soient scolarisés dans un périmètre d’un kilomètre de leur domicile. On s’appuya sur une législation déjà existante pour autoriser la réquisition d’immeubles en faveur des sans-logis. Mais, comme on pouvait le craindre, le dossier de l’immigration s’est vite révélé complexe. Les Verts ont certes plaidé et obtenu que le regroupement familial devînt la règle et non l’exception. Mais la régularisation des sans-papiers donna lieu à une négociation très serrée. Il y avait parmi les proches de Mélenchon des adversaires résolus du « libéralisme libertaire ». Un gros mot ! L’affaire faillit tourner à l’affrontement dogme contre dogme. On confia à Clémentine Autain le soin de trouver une solution. Les mots « régularisation de tous les sans-papiers » ne furent jamais prononcés ni écrits, mais si le principe de l’examen des dossiers n’a pas été abandonné au profit d’une ouverture tous azimuts, la chose se fit avec assez d’humanité pour que le résultat marque une rupture profonde, non seulement avec la politique de la droite, cela va sans dire, mais avec la pratique des divers gouvernements socialistes jusqu’en 2002. Toutefois, sur un plan général, le moment approchait où la politique des décrets allait placer le gouvernement en contradiction avec ses principes. Il fut convenu que des mesures comme le droit d’adoption par des couples homosexuels, l’allongement des congés maternité et paternité, et le statut des enfants issus de mères porteuses feraient l’objet de projets de loi. Au fil des jours, l’Assemblée se révélait moins rétive qu’on aurait pu le craindre. Une forte minorité socialiste assurait au gouvernement une majorité assez confortable. Les députés socialistes qui avaient surnagé dans la débâcle de leur parti constituaient une sorte de marais aux réactions imprévisibles. Dieu merci, les plans de carrière et la volonté de ne pas se mettre à dos le gouvernement l’emportaient le plus souvent. Féru d’histoire, Mélenchon avait baptisé ces socialistes indécis et invertébrés « les crapauds », reprenant un sobriquet méprisant que l’on devait, paraît-il, à un Montagnard de la Constituante de 1792.

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