La vie des autres

Sébastien Fontenelle  • 8 septembre 2011 abonné·es

Comme nous savons désormais, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) — les RG d’antan, qui furent ce qui se rapprocha le mieux d’une Polizei politique de ce côté-ci du Rhin –s’est bel et bien fait communiquer, en complète violation de la loi, les factures téléphoniques détaillées d’un journaliste du Monde qui s’intéressait à une affaire (dite « Bettencourt ») touchant directement d’éminentes personnalités de la Sarkozie.


Puis Bernard Squarcini, patron de la DCRI, et Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale (DGPN), ont menti, lorsqu’ils ont juré, craché, ptoui, ptoui, que jamais —  jaaaamais, René — les services secrets ne s’étaient fait communiquer, en toute illégalité, les factures téléphoniques détaillées d’un journaliste du Monde, allons, aaallons, qu’allait-on s’imaginer là, et pour qui les prenait-on, bordel de merde ? (Pour des putains d’espions communistes, genre des markuswolfs ?)


Pour ces deux raisons, Bernard Squarcini et Frédéric Péchenard auraient dû être sanctionnés dans la minute suivant la révélation de cette indélicatesse. (Puis leurs commanditaires traités à l’égal de celles et ceux que le régime dont nous subissons depuis 2007 le joug menace tous les trois matins des foudres d’une comparution immédiate, histoire de leur apprendre à voler des poules — sur le thème c’est fini, le laxisme socialo-communiste, tas de primo-délinquant(e)s.)


Mais bien sûr : ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.


Puisqu’en effet Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, s’est empressé de clamer, non seulement qu’il ne prendrait « bien évidemment » aucune sanction contre ses deux empressés « grands flics » (comme disent les journaleux), mais que, de surcroît, « si ces fonctionnaires devaient être mis en examen, cela ne les empêcherait pas d’exercer leurs fonctions ». (Il est vrai : le délicat personnage ne fait qu’appliquer là la jurisprudence Hortefeux, du nom de son prédécesseur au ministère des polices, qui fut maintenu à son poste en dépit de sa condamnation pour injure raciale.)


Même : hissant le foutage de gueule vers des sommets où il n’était jusqu’à présent que rarement monté, « l’exécutif compte » faire valoir que la DCRI aurait agi, non pour défendre le chef de l’État et son tourage contre la curiosité de la presse, comme on pourrait sottement croire, mais pour protéger « l’intérêt national » — et plus précisément « l’institution judiciaire », que menaçaient « les fuites à répétition sur l’affaire Bettencourt [^2] ». (Et certes : venant des mêmes rodomont(e)s qui, depuis qu’ils ont pris le pouvoir, n’ont eu de cesse que de manifester dès que possible leur détestation des juges, cette soudaine marque d’intérêt peut faire sourire (jaune).)


Les chefs de l’Allemagne de l’Est, qui avaient eux aussi une assez pointue conception de la défense des « intérêts nationaux », avaient un mot, pour ça : Staatssicherheit.

[^2]: Le Monde, 6 septembre 2011.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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