Sur les rails, la libéralisation continue

Une nouvelle étape dans la libéralisation du secteur ferroviaire est en cours sous l’impulsion de la Commission européenne. Selon les syndicats, ces nouvelles directives risquent de se traduire par une dégradation des équipements et du service aux usagers.

Thierry Brun  • 10 novembre 2011 abonné·es

En a-t-on fini avec la libéralisation du système ferroviaire entamée il y a maintenant plus de dix ans ? Après un calme relatif dans la production législative, la Commission européenne a décidé de la relancer pour la « moderniser » .

Cette volonté bruxelloise explique le mouvement de grève « symbolique » lancé mardi par les principales organisations syndicales de cheminots (CGT, Unsa, CFDT et CFTC, sans SUD-Rail), qui se sont jointes à des mouvements européens programmés par la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF). Celle-ci cherche à peser sur les travaux des députés européens, qui doivent examiner, lors de la session du Parlement européen du 15 au 17 novembre, une révision de la réglementation mettant en concurrence les chemins de fer européens.

Insatisfait du « faible niveau de concurrence » dans le transport ferroviaire, Siim Kallas, vice-président de la Commission chargé des transports, s’est appuyé sur les demandes de députés de droite du Parti populaire européen (PPE) pour pousser plus avant une libéralisation du rail restée, selon eux, au milieu du gué.

Les services de Siim Kallas ont donc transmis en septembre 2010 un texte présentant une refonte de ce que les technocrates de Bruxelles nomment le « premier paquet ferroviaire » , c’est-à-dire un ensemble de plusieurs directives adoptées en 2001 et brisant les « monopoles d’État » .

La proposition de directive « établissant un espace ferroviaire unique européen » a prévu pas moins de 26 nouvelles mesures, dont quelques surprises préparées en catimini. Ce qui a fait dire à Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT-cheminots, que « ces changements sont en train de se faire en dehors de tout débat démocratique ! » . La CGT relève que le texte met en cause le droit de grève, le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) de la SNCF, et entérine la « prise de pouvoir de la Commission européenne sur les organisations ferroviaires nationales sans passer par le Parlement européen et le Conseil » .

D’autres mesures ont été pointées par l’ETF : le « démantèlement des installations de service (ateliers de maintenance, gares, etc.) et leur mise à disposition aux nouveaux entrants » , la « séparation organique des fonctions de gestionnaire d’infrastructures et d’entreprise ferroviaire » , le « renforcement du pouvoir des organismes nationaux de régulation de la concurrence » .
Député européen socialiste membre de la commission Transports du Parlement européen, Gilles Pargneaux estime que cette approche de la Commission, « qui consiste à aller vers toujours plus de libéralisation pour améliorer les prestations ferroviaires, n’a jamais fait ses preuves » .

Consulté sur cette refonte, le Conseil économique et social européen (CESE) a critiqué la volonté de séparer services de maintenance et exploitants comme la SNCF. « La démarche de dégroupage qui a consisté à séparer la gestion du réseau par Réseau ferré de France (RFF) et l’opérateur historique qu’est la SNCF s’est traduite par une dégradation des infrastructures et de la qualité du service aux usagers. D’autres expériences en Europe attestent de l’inefficacité de cette approche » , explique Gilles Pargneaux.

Le CESE rappelle que la concurrence ne peut être un objectif en soi et demande le retrait des dispositions prévoyant la mise en cause du droit de grève des cheminots.
Devant la bronca des salariés du secteur, le texte retenu par les députés européens en octobre a écarté l’obligation de dégroupage total des activités des entreprises ferroviaires et a retiré la référence au service minimum, qui met en cause le droit de grève.

S’agit-il pour autant d’un camouflet infligé à la Commission européenne ? Pas du tout. Siim Kallas a adressé en septembre une lettre à la commission Transports du Parlement européen, que Politis s’est procurée, indiquant son intention « de présenter de nouvelles propositions sur la séparation structurelle entre la gestion des infrastructures et la fourniture de services, sur l’ouverture des marchés domestiques et sur les services de passagers de l’Union européenne de certification du matériel roulant avant la fin de 2012 » . Le vice-président de la Commission insiste « pour que cet engagement soit clairement réaffirmé dans le programme de travail de la Commission pour 2012 » .

En clair, la Commission veut toujours plus de libéralisation et s’est fixé une « clause de rendez-vous » pour réintroduire dans une nouvelle proposition législative ce qu’elle n’a pas obtenu dans la refonte du premier paquet ferroviaire, en particulier une séparation complète des activités des entreprises publiques ferroviaires. Les syndicats restent mobilisés contre cette « casse du chemin de fer » .

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