À contre-courant / Le spectre des années 1930

Dominique Plihon  • 5 janvier 2012 abonné·es

En période de crise, les politiques économiques – bonnes et mauvaises – jouent un rôle décisif. On aurait pu attendre des décideurs publics qu’ils tirent les leçons de la Grande Dépression des années 1930. C’est loin d’être le cas ! On sait que l’une des causes de la profondeur de la Grande Dépression fut l’absence d’intervention de la FED [^2] américaine comme prêteur en dernier ressort, ce qui contribua à l’effondrement du système bancaire, puis de l’économie américaine. Les banques centrales des pays avancés n’ont pas commis la même erreur au début de la crise des subprimes : elles ont massivement prêté aux banques en difficulté à partir de 2008, évitant de peu un effondrement du système bancaire international. De plus, les gouvernements ont mis en œuvre des plans de relance économique, qui s’apparentent à la politique budgétaire expansionniste menée par Roosevelt à partir de 1934, dans le cadre du New Deal. On pouvait se dire en 2009 que nos gouvernants avaient tiré les leçons de l’histoire.

La réalité est plus inquiétante. En effet, les gouvernants des années 2000 se sont bien gardés de mettre en œuvre les réformes qui furent au cœur du New Deal social-démocrate [^3]. Aucune réforme significative destinée à contrôler la finance n’a été décidée, malgré les déclarations tonitruantes du G20. Roosevelt, lui, s’était attaqué aux banques, promulguant en 1933 le Glass-Steagall Act, qui séparait les banques de détail et les banques d’investissement. Par ailleurs, Roosevelt avait réduit les inégalités par un impôt sur le revenu fortement progressif. Nos gouvernements accentuent au contraire le caractère inégalitaire de la fiscalité, comme le montrent les hausses généralisées de la TVA.

Mais la comparaison avec les années 1930 ne s’arrête pas là. Les gouvernements actuels commettent la même erreur que dans le passé en imposant des politiques d’austérité. À partir du milieu des années 1930, pour enrayer la hausse des déficits publics causée par la crise, les pays européens puis les États-Unis ont mené des politiques déflationnistes, entraînant une montée du chômage et de la misère sociale, ce qui contribua à l’arrivée au pouvoir de gouvernements nationalistes et populistes. Des politiques monétaires restrictives furent mises en œuvre, la masse monétaire devant progresser au même rythme que le stock d’or de la banque centrale, afin de respecter la discipline de l’étalon-or. Aujourd’hui, la situation critique de la zone euro s’apparente à cette période sombre du siècle dernier. 2012 connaîtra une récession résultant des politiques d’austérité, avec une montée du chômage de masse. Le refus de la Banque centrale européenne, prisonnière de ses statuts, de jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort en achetant la dette publique, et l’absence de politique pour empêcher la surévaluation de l’euro constituent des carcans aussi contraignants que l’était l’étalon-or dans les années 1930.

On connaît la fin dramatique de la Grande Dépression. Heureusement, l’histoire ne se répète jamais tout à fait. Il y a au moins deux raisons d’espérer en 2012. La coopération internationale est plus importante que dans l’entre-deux-guerres, ce qui devrait limiter les risques de conflits mondiaux. Et la montée en puissance des mouvements sociaux, au Moyen-Orient, en Europe, aux États-Unis, en Israël, en Russie pourrait constituer un contre-pouvoir face aux forces antidémocratiques.

[^2]: Federal Reserve, banque centrale des États-Unis.

[^3]: Voir le rapport Euromemo 2012, rédigé par des économistes progressistes européens, www.euromemo.eu

Économie
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