Devenir français, quelle épreuve !

Durcissement des procédures et climat suspicieux  : les naturalisations ont baissé de 30 %.

Ingrid Merckx  • 19 janvier 2012 abonné·es

Le score annoncé par Claude Guéant confirme une tendance : 30% de naturalisations en moins en 2011. Un « chiffre historique » , titrait le Monde le 11 janvier.

D’après la Ligue des droits de l’homme, cette situation est « largement due au durcissement des conditions d’octroi de la nationalité, parmi lesquelles la maîtrise de la langue et le transfert de compétences aux préfectures… » Le niveau de français est devenu un obstacle. Depuis le 1er janvier, les postulants doivent faire la preuve de leurs compétences via un diplôme ou une attestation de niveau fournie par un organisme certifié. « Jusqu’à présent, il n’était exigé des postulants qu’un français “de survie” [A1], alors qu’on leur demande maintenant un français de conversation  [B1] », explique une ex-enseignante de l’Infrep.

Certes, ce niveau n’est requis qu’à l’oral, mais il correspond à une fin de scolarité, quand des personnes illettrées pouvaient espérer décrocher un diplôme initial de langue française (Dilf). Même logique que pour les étudiants étrangers : écrémage par les compétences.

Le 10 janvier, Claude Guéant annonçait travailler au renforcement des procédures d’annulation des « mariages de complaisance » . De quoi mettre en alerte Les amoureux au ban public, mouvement qui rassemble et soutient des couples franco-étrangers et qui vient justement de réunir, dans un documentaire réalisé par Nicolas Ferran, les témoignages de treize couples. Ils racontent leur quotidien et la manière dont ils sont traités : police faisant irruption dans les domiciles, tirant Lisa nue de son lit, entraînant Bernard en centre de rétention, convocations au poste, intrusions dans la vie privée, violences, séparations forcées, persécutions administratives...

« Vivez cachés jusqu’au mariage » , conseillent les associations. Même après, la bataille continue. « Mariés le mardi matin, séparés le mardi soir… » , résume Aurélie. « Pas le droit de tomber amoureuse d’un étranger ? » , demande Elsa. « J’espère que vous n’allez pas vous faire embobiner, vous avez le profil type… » , lui a répondu l’agent.

www.amoureuxaubanpublic.fr

Ensuite, l’accès aux cours n’est pas si évident. Gratuits mais ­dispensés par des associations et des sociétés agréées qui doivent rogner sur tout : le salaire et les conditions de travail d’enseignants payés au lance-pierres, leur formation, l’accueil des élèves… « Si on voulait vraiment intégrer les arrivants par le biais de l’acquisition de la langue, on mettrait le paquet sur ces cours ! » , observe encore l’enseignante.

« Peut-on se faire élire au Sénat avec un accent ? » , interroge la sénatrice EELV Esther Benbassa, dans De l’impossibilité de devenir français (1). « Le français n’est pas en moi, mais c’est un mariage d’amour entre lui et moi, un choix » , précise-t-elle dans cet ouvrage qui entend creuser ce pourquoi la France peine à intégrer ses étrangers et a cessé d’être un pays rêvé. La France est « frappée de sénescence » , estime cette « ancienne immigrée » , qui, née dans une famille juive d’Istanbul, avait rêvé de la France avant de s’y installer à 22 ans. « La xénophobie ambiante s’érige en rhétorique politique qui prend l’islam pour cible » , s’indigne-t-elle. « S’intégrer, mais à quoi ? » , demande-t-elle, renvoyant la question de l’identité nationale dans ses cordes : et si être français c’était « vouloir une France combative, renonçant à son pessimisme »  ? Et si être français ce n’était pas qu’être français mais français et autre ?

Société
Temps de lecture : 2 minutes