« Nous improvisions tout »

Jacques Nolot, en marquis de Lévezin, a joint sa singularité
à celle de Rabah Ameur-Zaïmeche.

Christophe Kantcheff  • 26 janvier 2012 abonné·es

Comédien toujours remarquable, lui-même réalisateur de films bouleversants (Avant que j’oublie), Jacques Nolot est l’un des premiers acteurs « extérieurs » à la bande de Rabah Ameur-Zaïmeche auxquels celui-ci a fait appel. Rencontre.

**Comment avez-vous rencontré Rabah Ameur-Zaïmeche ?

Jacques Nolot :** Nous nous sommes rencontrés à l’époque où Rabah réalisait son premier film, Wesh Wesh, par l’intermédiaire de la productrice de mes films. Comme j’aimais beaucoup son travail, j’ai assez vite pensé que je devrais un jour en être.

Le hasard a fait que nous nous sommes retrouvés dans des festivals. Nous sommes, je crois, deux hommes libres. C’est ce qui nous a rapprochés. Sur les Chants de Mandrin, je pensais que j’aurais un petit rôle. J’en étais déjà ravi. Mais, sur le tournage, mon rôle est finalement devenu plus important.

**Comment définiriez-vous vos deux libertés ?
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De ma part, c’est un peu prétentieux de dire que je suis libre. Mais je crois pouvoir revendiquer cette liberté quant à ma vie et quant à ma manière d’exercer mon métier et de choisir les films. Par ailleurs, je refuse les pubs, les télés, je ne joue pas avec les acteurs que je n’apprécie pas et je décline les rôles qui sont contraires à mes idées éthiques ou politiques. Si je ne suis pas motivé par le metteur en scène, le scénario ou mon propre rôle, je suis un mauvais acteur.

La liberté de Rabah Ameur-Zaïmeche, c’est d’abord celle de faire les films qu’il réalise, qui sont très singuliers. Il a su s’entourer de collaborateurs de longue date, qui forment une troupe autour de lui, une troupe d’acteurs, de techniciens… Ils sont toujours disponibles pour s’impliquer dans son travail. C’est assez fascinant. Par exemple, quand nous étions à table, sur le tournage, si Rabah disait : « On va faire un plan », tout le monde se levait et c’était parti. Rabah génère cela. Il sait très bien s’entourer. Et, depuis son premier film, il s’autoproduit. C’est aussi un bon moyen d’être libre.

**C’est la première fois que vous tourniez dans ces conditions, avec des horaires non fixés à l’avance ?
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Oui, sauf avec Ariane Mnouchkine, il y a fort longtemps (Jacques Nolot apparaît dans Molière, tourné en 1977, NDLR).

**De quelle manière avez-vous abordé le rôle du marquis de Lévezin ?
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Rabah m’a d’abord donné un scénario. Il y avait là un simple marquis sans nom – Lévezin, nous l’avons trouvé sur place. Mais le scénario a été écrit pour les commissions de financement, pour trouver de l’argent. Sur le tournage, je n’ai pas vu l’ombre du scénario. J’ai essayé de placer les répliques qui m’avaient été attribuées parce que je suis quelqu’un de consciencieux (rires). Nous improvisions tout. Ce qui me demandait beaucoup de concentration.

Heureusement, comme j’ai réalisé des films moi-même, j’avais inconsciemment la maîtrise des plans. Mais c’était très exigeant. L’improvisation demande plus de vigilance. Et une complicité énorme entre nous, ce qui était le cas notamment avec Christian Milia-Darmezin, qui joue le colporteur, et avec Rabah.

**Comment Rabah Ameur-Zaïmeche tourne-t-il ?
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Je le compare à un peintre. Avant de placer la caméra, il hume l’espace et sent les gens. Il tire le meilleur parti de son économie de moyens : il stylise au maximum. J’aime bien, par exemple, l’idée du camp, très simple, situé dans une clairière, avec les chevaux autour. D’autant que lui et son équipe ont tellement l’habitude de travailler ensemble que, lorsqu’ils bougent – l’un va chercher la soupe, l’autre prend le lapin, un autre sert un verre de vin… –, cela ressemble à un ballet.

Rabah sait aussi se servir des accidents. Par exemple, lors d’une prise, en disant la complainte de Mandrin, j’ai eu un trou de mémoire. Du coup, Rabah est entré dans le champ, a crié la réplique – « Du haut de ma potence, je regarde la France » –, phrase d’autant plus forte qu’elle est prononcée par lui, un Franco-Algérien. Tout accident devient une chance avec lui. Il a gardé cette prise-là.

**Que pensez-vous du film sur le fond ?
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Le film a une thématique très actuelle. C’est d’abord un éloge de la mixité et des identités mêlées qui devrait inspirer Claude Guéant. C’est aussi un film sur la nécessaire redistribution des richesses.

Cinéma
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