Adoption discrète de l’austérité obligatoire

Michel Soudais  • 16 février 2012 abonné·es

L’Europe fait irruption dans la campagne. Élaborés dans le huis clos des sommets européens depuis deux ans, les textes imposant l’austérité à tous les États membres arrivent devant les parlements nationaux. Deux d’entre eux seront débattus à l’Assemblée nationale le 21 février, et feront l’objet d’un vote dans la foulée. Cette procédure expéditive est dénoncée par les députés du Front de gauche, qui demandent un référendum.

Non seulement « tout est fait pour priver les peuples du moindre débat public » sur les enjeux importants de ces textes, mais l’UMP et le PS se sont entendus « pour dissimuler aux électeurs les votes de chacun des parlementaires » , accuse Martine Billard, députée de Paris. Selon la coprésidente du Parti de gauche, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a refusé, « malgré la demande des députés du Front de gauche, qu’il y ait un vote solennel nominal par scrutin public à l’issue des débats » . Explications.

Sur quoi porte le vote de l’Assemblée nationale ? Les députés sont saisis de deux propositions de ratification. La première porte sur un amendement à l’article 136 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), communément désigné sous l’appellation de traité de Lisbonne, qui rend possible la création du Mécanisme européen de stabilité (MES). La seconde porte approbation du traité instituant ce MES, dans lequel sont fixés les objectifs, la capitalisation – l’engagement financier de la France est de 142,7 milliards d’euros – et le ­fonctionnement de cette nouvelle institution communautaire.

Sous le prétexte de codifier un mécanisme de solidarité entre les États membres de la zone euro, mécanisme qui a été ébauché dans l’urgence aux prémices de la crise grecque (printemps 2010) avec le succès que l’on sait, ce traité accorde des compétences supplémentaires à la Commission européenne et à la Banque centrale européenne – il leur revient notamment le pouvoir de décider de l’urgence d’une assistance financière. Il pérennise également le rôle du Fonds monétaire international au sein de l’UE.

La solidarité, mise en avant pour présenter le texte sous un jour favorable, fait l’objet « d’une stricte conditionnalité » et vise d’abord à « préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres » , avant toute autre préoccupation altruiste pour le pays qui connaîtrait des difficultés.
Le traité MES impose-t-il l’austérité ? Explicitement, non. C’est un autre traité, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG), approuvé au sommet européen du 30 janvier, après un mois et demi de discussions, qui fait obligation aux États membres d’inscrire dans leurs constitutions nationales le principe d’une règle d’or renforcée et instaure des sanctions automatiques en cas de dépassement des niveaux de déficit autorisés.

Disponible jusqu’ici uniquement en anglais, le TSCG doit être signé par les chefs d’État et de gouvernement le 1er mars. Ce n’est qu’après cette date que ce texte controversé – il est rejeté par la Confédération européenne des syndicats, qui a accepté tous les précédents traités – sera soumis à la ratification des États, selon des procédures nationales qui devraient toutes exclure le recours au référendum.

Dans les faits, le MES et le TSCG « sont complémentaires » , comme cela est spécifié en toutes lettres au considérant n° 5 du premier. Ce même considérant précise d’ailleurs que « l’octroi d’une assistance financière dans le cadre […] du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, à la ratification du TSCG par l’État membre concerné et, à l’expiration du délai de transposition […] du TSCG [un an à compter de la date d’entrée en vigueur, NDLR], au respect des exigences dudit article » .

Pourquoi refuser le MES ? « Accepter le MES, c’est accepter la dynamique destructrice du traité de stabilité budgétaire qui prive les parlements nationaux de toute marge de manœuvre budgétaire et donc politique » , avertit Marie-Christine Vergiat. Pour la députée européenne du Front de gauche, ce lien voulu par Nicolas Sarkozy est « une façon de faire pression sur ses successeurs » . Une fois la première pièce du puzzle adoptée, les chances de renégocier le TSCG, même à la marge comme François Hollande en a émis le souhait, seraient voisines de zéro.

Car une subtilité juridique permet au TSCG d’entrer en application, même sans ratification de la France : contrairement au MES et à tous les traités européens antérieurs, le TSCG n’est pas un traité communautaire nécessitant l’accord de tous les États membres, mais un accord de droit international susceptible d’entrer en vigueur au 1er janvier 2013 dès lors que 12 pays au moins l’auront approuvé.

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