1988, 2002  : deux campagnes en otages

Auparavant, l’affaire de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie,
et l’agression d’un retraité à Orléans ont influencé les scrutins présidentiels.

Claude-Marie Vadrot  • 29 mars 2012 abonné·es

Parce que les élections ont souvent été marquées par des faits divers retentissants, la mémoire collective conserve l’impression que chaque échéance électorale est à la merci d’un événement violent débouchant sur une exploitation politique massive. En réalité, on ne peut retenir que deux scrutins susceptibles d’avoir été vraiment influencés par des événements par ailleurs largement amplifiés par les médias : la présidentielle de 1988 opposant Jacques Chirac et François Mitterrand, et celle de 2002 entre Jacques Chirac, postulant pour un second mandat, et Lionel Jospin, éliminé au premier tour par Jean-Marie Le Pen, celui-ci le précédant de 0,68 % des suffrages exprimés (un écart de 394 600 voix).

Le 22 avril 1988, deux jours avant le premier tour, un groupe de Kanaks, militants du Front de Libération nationale Kanak socialiste (FLNKS-indépendantiste), décide d’occuper la gendarmerie sur l’île d’Ouvéa, au large de la Nouvelle-Calédonie. Ils prennent 31 gendarmes en otages. Un officier se défend contre l’occupation pacifique et tire. Dans la fusillade qui suit, 4 gendarmes sont tués. Les 27 otages restants sont séparés en deux groupes : les uns sont rapidement libérés, les autres se retrouvent enfermés dans une grotte avec les Kanaks. Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, est à la manœuvre pour le compte du Premier ministre candidat, Jacques Chirac. Le président Mitterrand n’est informé qu’épisodiquement.
Près de 700 hommes du 11e Choc (unité parachutiste d’élite) ainsi que le GIGN débarquent sur l’île interdite à la presse et déclarée « zone militaire ». Sans négociations, l’assaut est donné le 5 mai, trois jours avant le second tour de l’élection : 19 Kanaks et 2 gendarmes sont tués.

L’attaque contre la grotte était en fait prévue pour la veille, mais elle a été annulée par Jacques Chirac et Charles Pasqua, qui voulaient se donner le temps de scénariser l’accueil des trois otages du Liban, dont Jean-Paul Kauffmann, libérés pile pour le second tour ! En dépit des efforts de Chirac pour tirer des bénéfices de cette libération et de la gestion musclée de la crise d’Ouvéa, François Mitterrand est réélu haut la main.

L’échéance électorale de 2002 a été marquée par deux événements très différents. Il y a eu ce que les médias appelèrent la « tuerie de Nanterre »  : le 27 mars, un ex-membre du PS et des Verts, militant à la Ligue des droits de l’homme, Richard Durn, tue 8 personnes et en blesse 19 autres dans la salle du conseil municipal. Pour des raisons qui ne furent jamais vraiment élucidées, car l’homme se suicida peu après dans les locaux de la police.

Si ce tragique événement n’aura finalement pas grande incidence sur le scrutin, ce n’est pas le cas du suivant, survenu trois jours avant le 1er tour. Le 18 avril, la presse locale est informée par l’adjoint au maire UMP d’Orléans chargé de la sécurité, Florian Montillot, qu’un retraité de 72 ans, Paul Voise, a été agressé dans son pavillon d’un quartier populaire par « deux jeunes d’origine nord-africaine » . Le fait divers, photo du visage tuméfié de l’homme à l’appui, est raconté le lendemain dans la République du Centre. À la suite d’une dépêche de l’Agence France Presse, l’histoire est reprise par l’ensemble de la presse, TF1 en tête, suivie par les chaînes de France Télévisions. Florian Montillot se charge de tous les détails auprès des envoyés spéciaux qui débarquent. Rebaptisé « Papy Voise » , parce que c’est plus émouvant, le retraité devient la figure symbolique de tous les méfaits de la délinquance. À la veille du premier tour, TF1 surexploite l’affaire, et sa filiale LCI diffuse une vingtaine de fois sa séquence Papy Voise.

Cette agression n’a jamais été élucidée (l’unique suspect a bénéficié d’un non-lieu en 2005). Vu la faiblesse de l’écart qui a séparé Lionel Jospin de Jean-Marie Le Pen, il n’est pas exagéré de penser que l’affaire a pesé sur l’élection au point d’en changer le résultat.

Un autre fait divers, plus ancien, mérite d’être mentionné : la prise d’otages d’une classe dans une école maternelle de Neuilly en mai 1993 par Erick Schmitt, surnommé Human Bomb, abattu finalement par le Raid. En montrant Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville, sortir de l’école un enfant dans ses bras, les télévisions ont alors bien aidé le futur ministre et futur président à construire son image sécuritaire.

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Après Toulouse, la récupération
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