Les riches propositions de l’Altergouvernement

Une quarantaine de responsables associatifs, d’universitaires engagés et de syndicalistes ont imaginé un programme de rupture.

Patrick Piro  • 17 mai 2012 abonné·es

Ce n’est pas (encore) un « cabinet fantôme » citoyen (un gouvernement parallèle à la mode britannique), mais l’idée germe dans les esprits. L’ouvrage Altergouvernement[^2] est une expérience originale impulsée par l’éditeur Bruno Courtet, qui a eu l’idée de demander à dix-huit « ministres-citoyens » de concevoir un programme de gouvernement complet. Cette équipe, de sensibilité de gauche, écologiste, humaniste, n’émane pas d’un courant politique défini, mais elle exprime un véritable fonds commun de pensée, une cohérence globalement sans dogmatisme, une culture partagée issue des mouvances altermondialiste, décroissante, participative…

Une motivation dominante anime cet « altergouvernement » des Azam, Pinçon-Charlot, Testart, Dufumier, Ariès, Mucchielli, George, Eyraud, Harribey… : la défense de l’intérêt public. Qu’il s’agisse d’éducation, de sécurité, d’emploi, de qualité de vie, de logement, de santé ou de culture, les ministres mettent au premier rang de leurs préoccupations les besoins et les aspirations du plus grand nombre, dans un souci d’équité et de justice sociale. Ce n’est pas une surprise, on assiste à une réhabilitation considérable des autorités publiques, pour contrer la domination des marchés, l’excès des pratiques concurrentielles, la braderie des biens communs.

Avec des mutations profondes dans les méthodes. Ainsi, transpire le souci de faire participer les citoyens à la définition des programmes comme à l’exercice du pouvoir, et de rapprocher l’exécutif de la population, notamment grâce à une réforme de l’État et de l’exercice démocratique…
D’autre part, il n’est plus question de s’accommoder des délimitations classiques des maroquins, comme en témoigne ce ministère de la Ville et du Commerce taillé sur mesure pour Paul Ariès. L’altergouvernement entend fonctionner comme un conseil interministériel, avec des excursions hors des domaines de compétence de chacun, signe d’une pensée globalisante. Ainsi les Affaires étrangères seraient confiées à Susan George, articulant les niveaux national, européen et mondial pour des réformes profondes.

Mention spéciale au ministre de la Culture Franck Lepage, qui engagerait un véritable chantier de décolonisation des esprits, dominés par le conformisme néolibéral, productiviste, marchand – y compris dans le secteur de l’art, auquel on réduit souvent la culture, à tort, dénonce-t-il. Aline Pailler, à l’Information, n’y va pas de main morte non plus avec sa réforme radicale du quatrième pouvoir, pour en garantir l’indépendance. On considère aussi avec intérêt la feuille de route des ministères de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice, traditionnellement délaissés par les « alter »  : bien moins de répression mais sans naïveté[^3].

Par ailleurs, certaines idées semblent en voie de banalisation, comme le « revenu maximum acceptable » proposé par la ministre des Solidarités, Nathalie Péré-Marzano, ainsi que sa « dotation individuelle pour l’exercice de la citoyenneté » (un « revenu minimum d’existence » en plus musclé). La fréquentation de ce gouvernement fictif est réjouissante : l’expertise citoyenne est d’une richesse et d’une créativité insoupçonnées, et il est encourageant qu’elle se mette en situation d’exercer virtuellement le pouvoir.

La lecture de (R)évolutions, pour une politique en actes [^4] est fortement complémentaire. Là encore, une petite vingtaine d’acteurs de tous horizons. Agriculture, société, industrie, énergie, architecture : ces experts présentent des cas emblématiques, accompagnés de fiches pratiques.

Citons enfin Pour une VIe République écologique , fruit d’une réflexion collective au sein de la Fondation Nicolas-Hulot[^5]: l’instauration d’une démocratie participative, avec notamment la création d’un « collège du futur », chambre issue de la société civile et dotée d’un pouvoir législatif à long terme, destiné à préserver les conditions d’existence des générations présentes et à venir. Bien au-delà de la durée de vie des gouvernements…

[^2]: Éd. Le Muscadier, maison naissante dont c’est le premier ouvrage.

[^3]: On pourra même regretter que le ministre Philippe Leymarie ne remette pas en cause le nucléaire militaire.

[^4]: Sous la direction de Lionel Astruc, Actes Sud.

[^5]: Éd. Odile Jacob.

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