Europe : l’austérité au sommet

Le Conseil européen s’apprête à adopter le pacte budgétaire qui, à rebours des promesses de François Hollande, va pérenniser la rigueur en Europe.

Rachel Knaebel  • 28 juin 2012 abonné·es

Enfin des « solutions structurelles » pour sortir de la crise de l’euro, clamait Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, avant le Conseil européen de jeudi et vendredi à Bruxelles. Présenté comme une victoire politique du président français, l’accord sur la croissance de 130 milliards d’euros, soumis aux 27, a été conclu dès la réunion, la semaine dernière, des quatre principales économies de la zone euro (Allemagne, Espagne, Italie, France).

Cet accord a obtenu l’aval de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui avait déjà convaincu son opposition quelques jours plus tôt en passant un accord avec les sociaux-démocrates et les Verts. Les termes de cet accord rejoignent les décisions du Conseil, comme l’idée de remettre sur les rails une taxe restreinte sur les transactions financières, au nom de la solidarité entre les pays de l’Union. En contrepartie de ce plan de croissance, François Hollande devra de son côté se plier aux exigences de la chancelière, qui veut inscrire l’hyperaustérité budgétaire dans le marbre du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le fameux pacte budgétaire européen. Il n’est donc plus question de remettre en cause la discipline budgétaire que le Parlement allemand s’apprête à adopter le 29 juin. La gauche allemande semblait un allié tout trouvé pour le président français. Mais, après des semaines de discussions, les sociaux-démocrates du SPD et les Verts ont annoncé qu’ils allaient voter pour le nouveau traité budgétaire, en échange de quelques concessions d’Angela Merkel. La gauche radicale Die Linke sera seule à voter contre.

Les dirigeants européens sont loin d’avoir résolu la crise de la dette dans la zone euro avec la seule règle d’or de réduction des déficits publics « excessifs ». Chypre était le cinquième pays de la zone euro à demander, lundi 25 juin, une aide financière après l’effondrement de son système bancaire, très exposé à l’économie grecque. Les besoins des banques chypriotes pourraient atteindre 4 milliards d’euros, soit plus de 20 % du PIB de la République, qui s’apprête à prendre la présidence semestrielle de l’Union européenne. L’Espagne a officiellement demandé le même jour une aide financière pour sauver ses banques. Les besoins du secteur bancaire espagnol s’élèvent à plus de 60 milliards d’euros selon le gouvernement, et l’État éprouve les pires difficultés à se financer sur les marchés, lesquels exigent des taux d’intérêt qui asphyxient une économie en récession. L’Italie, plombée par des plans d’austérité à la chaîne destinés à rassurer les marchés, est confrontée à une récession de plus en plus forte et à des taux d’emprunt qui ont grimpé en début de semaine. Chypre et l’Espagne succèdent à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal, dont les plans de sauvetage ont été accompagnés d’un programme d’austérité budgétaire drastique imposé par les bailleurs de fonds que sont la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et l’Union européenne. Ceux-ci ont pour l’instant injecté plus de 600 milliards d’euros d’aides sans mettre en cause des marchés financiers à l’origine de la crise dans la zone euro.

Le pacte budgétaire européen, signé en mars par 25 des 27 États membres (sans le Royaume-Uni ni la République tchèque), prévoit de rendre obligatoire l’équilibre budgétaire dans tous les pays signataires, et de l’inscrire de préférence dans les constitutions nationales. Le déficit d’un État membre ne devra pas dépasser 0,5 % du PIB. Un « mécanisme de correction automatique » se déclenchera sinon, avec astreintes financières et réformes économiques quasi obligatoires. Ce pacte ne prévoit pas de possibilité pour un État de le résilier. Bref, l’austérité pour tous et pour toujours. Face à cette perspective, les avancées obtenues par le SPD et les Verts semblent bien maigres. Angela Merkel et ses alliés libéraux ont cédé sur deux points : la taxe sur les transactions financières et un pacte de croissance, lesquels étaient déjà inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. L’accord indique que le gouvernement allemand va travailler à introduire cette taxe en Europe, pas qu’il va commencer par la mettre en œuvre… La chancelière accepte aussi le principe d’un pacte d’investissement, mais financé sur des fonds européens déjà existants. La déclaration commune du gouvernement et de l’opposition allemands ne dit pas un mot des emprunts communautaires européens (les eurobonds), ni d’un fonds commun de remboursement de la dette, que réclamaient les Verts. Les exigences du SPD contre le dumping social se sont également évanouies.

SPD et Verts se trouvaient pourtant en position de force : Angela Merkel a besoin d’une majorité des deux tiers dans les deux chambres du Parlement allemand, Bundestag et Bundesrat, pour faire adopter le pacte. Après le ton combatif de l’opposition allemande ces dernières semaines, le « grand succès » dont se vante le SPD aujourd’hui peine à convaincre. Certains élus devraient même voter contre le pacte budgétaire, à revers de leur parti, comme le Vert Hans-Christian Ströbele : « En l’état actuel, je voterai non. Je suis sceptique à propos de la taxe sur les transactions financières que je demande depuis vingt-cinq ans. Je crains qu’elle n’arrive jamais. Il la faut immédiatement. Ça ne suffit pas de se mettre d’accord sur le principe. Je suis pour un plan d’investissement, mais les propositions pour son financement ne sont pas bonnes, qui prévoient d’utiliser de l’argent qui existe déjà dans des programmes de l’UE. Il faudrait un grand programme pour soutenir l’emploi, comme nous en avons eu en Allemagne en 2008 et en 2009. » Pour sortir de la crise financière de 2008, l’Allemagne avait adopté deux plans de relance, qui ont financé le recours au chômage partiel plutôt qu’aux licenciements, la formation continue, des projets d’infrastructure (dont la rénovation énergétique des bâtiments publics), d’innovation, et aidé les entreprises à emprunter. « Nous avons vu avec ces programmes qu’il fallait dépenser 2 à 3 % du PIB en investissements pour influer sur la reprise économique », explique Klaus Barthel, député SPD, représentant de l’aile syndicale. « Avec les règles d’austérité du pacte fiscal, ce sera impossible », souligne Hans-Christian Ströbele.

La gauche allemande s’était pourtant montrée, ces derniers mois, de plus en plus critique envers la politique d’austérité de Merkel. « L’austérité a été un consensus dans la politique allemande, mais il s’effrite », estime le député Vert. Le pacte budgétaire européen va bien plus loin que la règle d’or, déjà inscrite dans la Constitution allemande (elle ne sera contraignante qu’à partir de 2016 pour l’État, 2020 pour les États-Régions). Die Linke va déposer un recours devant la Cour constitutionnelle allemande, car le pacte, qui soumet à la Commission les choix économiques des pays en déficit excessif, pourrait mettre à mal la souveraineté du Parlement en matière budgétaire. Les juges constitutionnels ont déjà défendu les droits du Bundestag face à des réformes européennes d’Angela Merkel. Les juges seront-ils finalement plus à gauche que le SPD ?

Monde Économie
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