Les pièges de la « compétitivité »

Le rapport sur la compétitivité de l’ex-grand patron Louis Gallois préconise plus de libéralisation de l’économie. Un « remède » qui entraînerait une dévalorisation du travail et de la protection sociale.

Thierry Brun  • 8 novembre 2012 abonné·es

préoccupation de François Hollande et du gouvernement, la compétitivité des entreprises s’est transformée ces dernières semaines en une lutte de classe menée par le patronat du CAC 40. Le rapport de l’ex-grand patron Louis Gallois sur le « défi » de la compétitivité, remis au gouvernement lundi, s’inscrit dans ce lobbying effréné qui a atteint en grande partie son objectif. On y prône rien de moins qu’une baisse de 30 milliards d’euros du « coût du travail » pour « arrêter le décrochage » de l’économie française et instaurer un « choc de confiance ». L’ensemble des 22 mesures proposées, dont un grand nombre ont inspiré le séminaire gouvernemental organisé mardi à Matignon [^2], symbolise la stratégie patronale de pousser encore plus en avant la libéralisation de l’économie et du marché du travail.

La baisse massive des « charges » recommandée par Louis Gallois entraînerait une diminution de 20 milliards d’euros des cotisations patronales et de 10 milliards d’euros des cotisations salariales, soit, à peu de chose près, ce que réclament l’Association française des entreprises privées (Afep) et le Medef depuis plusieurs mois. Le Fonds monétaire international (FMI) a appuyé ces orientations en publiant le même jour que le rapport Gallois ses observations sur l’économie française et la compétitivité. « Une réduction des cotisations sociales patronales pourrait contribuer à améliorer la compétitivité de l’économie française », indiquent les experts du FMI, qui considèrent que « les dysfonctionnements et les rigidités du marché du travail et du secteur des services sont au cœur du problème de compétitivité qui s’est accru au cours du temps. Ils ne pourront être résolus que par un programme de réformes structurelles de grande ampleur. » Les annonces du « choc de compétitivité » présentées dans le rapport Gallois, largement éventées et critiquées depuis plusieurs semaines, ont convaincu : le gouvernement a opté pour un crédit d’impôt aux entreprises, étalé sur plusieurs années, dans le but de faire progresser leurs marges. Il se traduirait par une baisse des cotisations sociales de 6 % sur les salaires compris entre 1 et 2,5 fois le Smic, ce qui représenterait un total de 20 milliards d’euros. Pour compenser cette nouvelle niche fiscale, la piste d’une réduction supplémentaire des dépenses publiques est à l’étude, comme le préconise le rapport.

Le seul remède de la baisse du « coût du travail » l’emporte donc pour résoudre les problèmes de compétitivité. Et il s’accompagne d’une dévalorisation du travail et de la protection sociale au profit du capital. Car, supprimer en grande partie ces cotisations acquittées par les employeurs reviendrait à se priver de plus d’un tiers des ressources de la protection sociale, qui se sont élevées à 633 milliards d’euros en 2010, a rappelé récemment le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale. « Infaisable », ont déclaré les syndicats. Dans une note qui met en cause la solution du transfert de charges, la Fondation Copernic et Attac France estiment que redonner un avenir à l’industrie et lutter contre le chômage par la compétitivité est une illusion économique et une impasse écologique (voir ci-contre la synthèse de cette note) : « Comprimer les coûts pour gagner des parts de marché à l’export » est un « impératif catégorique que l’on veut nous imposer. Mais cette logique est prise dans des contradictions dont elle ne peut sortir. » Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, s’interroge aussi sur ce « choc » [^3] : « La France doit-elle s’engager dans la stratégie allemande : gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des ménages, sachant que cette stratégie est catastrophique au niveau de la zone euro ? Certes, ce genre de mesure remplace la dévaluation aujourd’hui impossible dans la zone euro. Mais elle nuit à nos partenaires européens […] et ne garantit pas de gains de compétitivité vis-à-vis des pays hors zone euro. » Très contestée, la baisse massive des cotisations sociales est un sujet à haut risque pour le gouvernement, en pleines turbulences après six mois de pouvoir, l’exécutif ayant déjà fait savoir son opposition à cette baisse qu’il faudrait compenser par d’autres impôts. Le chiffre de 10 milliards d’euros d’économies à réaliser dès 2014 sur le budget de l’état et des collectivités fait grincer des dents. Ainsi qu’une autre piste retenue par le gouvernement  : le relèvement du taux principal de TVA, ce que réclament le Medef et les grands patrons du CAC 40. Une idée pourtant évacuée par le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale : « L’évolution des cotisations sociales à la charge des employeurs n’explique qu’une partie limitée des évolutions divergentes du coût salarial horaire entre la France et l’Allemagne. »

Que deviendront les mesures « hors coût du travail » du rapport Gallois ? Celles qui portent sur le renforcement des filières industrielles, l’aide à l’export, la pérennisation sur la durée du quinquennat de certains dispositifs comme le crédit d’impôt recherche ou ceux sur la détention et la transmission d’entreprise sont moins sujettes à controverse au sein du gouvernement et de la majorité présidentielle. D’autres pistes défendent un libéralisme sans frein : le rapport souhaite par exemple que la fiscalité sur l’assurance-vie favorise les contrats investis en actions, pourtant très risqués, sans doute pour favoriser l’épargne-retraite. Il suggère aussi de « mener la recherche sur les techniques d’exploitation » du gaz de schiste au nom de l’innovation, ce qui remettrait en cause l’interdiction de cette technique décidée par le gouvernement début septembre, conformément à l’accord passé avec les écologistes avant l’élection présidentielle. Il faudra plus qu’un séminaire pour que le gouvernement fasse oublier qu’il a commandé un rapport patronal et qu’il en a repris les grandes lignes.

[^2]: À l’heure où nous écrivons, le détail de ces mesures n’était pas connu.

[^3]: « Compétitivité, le choc illusoire… Faut-il réformer le financement de la protection sociale ? », note n° 24, 30 octobre 2012.

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