Huit ans après la mort d’Abou Bakari en garde à vue, l’enquête « misérable »

Les proches d’Abou Bakari Tandia, mort en 2005 après une garde à vue, contestaient mardi, devant la cour d’appel de Versailles, le non-lieu ordonné en septembre. Le parquet requiert son maintien.

Erwan Manac'h  • 13 février 2013
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Huit ans après la mort d’Abou Bakari en garde à vue, l’enquête « misérable »
© Photo : AFP / JACQUES DEMARTHON

Les portes de la 10 e  chambre d’instruction de la cour d’appel de Versailles se ferment  au moment d’auditionner l’affaire. Il faut croire que la mort d’Abou Bakari Tandia à l’issue de sa garde à vue, le 24 janvier 2005, est un dossier particulièrement sensible.

Il y a huit ans, le soir du 5 décembre 2004, Abou Bakari Tandia était arrêté à deux pas de son foyer de Courbevoie, à la suite d’un contrôle d’identité. Le Malien de 38 ans, résident français depuis treize ans, est en situation irrégulière. Quatre jours après l’arrestation, ses proches apprennent qu’il se trouve dans le coma, sans qu’aucune information ne leur soit donnée. Abou Bakari décédera sept semaines plus tard sur son lit d’hôpital.

Abou Bakari Tandia - Source : [www.amnesty.fr->http://www.amnesty.fr/]

L’instruction n’a toujours pas permis de faire la lumière sur les circonstances qui ont entraîné sa mort. Trois expertises médicales successives contredisent la thèse des policiers, qui affirment que le gardé à vue s’est lui-même frappé la tête contre le mur. Un rapport d’un collège d’experts de l’Institut médico-légal (IML), fondé sur la reconstitution des faits, conclut ainsi le 15 juin 2011 à une mort par « anoxie » (privation d’oxygène) évoquant des  « contentions répétées alors qu’il aurait présenté un état d’agitation important et qu’il se serait débattu  ». Un policier entendu comme témoin assisté indique par ailleurs au juge avoir immobilisé Abou Bakari en le maintenant au cou par une prise d’étranglement. Une pratique légale, mais très critiquée par les associations de défense des droits de l’Homme, qui la jugent responsable de plusieurs cas de décès.

Lire > Les crimes impunis de la police française

Pourtant, l’instruction n’avance pas. Impossible de mettre la main sur les enregistrements de vidéosurveillance et sur une partie des vêtements du défunt. Des pièces du dossier médical disparaissent temporairement, motivant même une enquête pour destruction de preuves. Aucune mise en examen n’est prononcée par le juge, en dépit des recommandations des experts de l’IML, et la demande de dépaysement de l’affaire formulée par les proches du défunt est rejetée.

Après une quatrième expertise, Valentine Morel, la 4e juge en charge de l’affaire, finit par ordonner un non-lieu en septembre 2012, jugeant les analyses médicales trop  « contradictoires   » pour justifier toute poursuite envers les 5 policiers présents le soir des faits. La plainte de la famille pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort » ne donnera lieu à aucun procès.

« Tant que je serai vivant, je continuerai à me battre »

L’appel de cette décision était auditionné ce mardi 12 février, à huis clos, par la cour d’appel de Versailles. L’avocat des proches d’Abou Bakari Tandia conteste en particulier la fiabilité de la quatrième expertise. « En trois mois, une personne non inscrite au collège des experts a monté une expertise sans avoir le dossier médical. Elle a mené son travail sur la base des déclarations des policiers »,  fustige Me Yassine Bouzrou, qui s’emporte contre une  « ordonnance non motivée et une misérable instruction ».

Selon Me Yassine Bouzrou, le procureur a requis mardi 12 février une confirmation du non-lieu, en l’absence de toute  « certitude »  dans cette affaire.  « C’est la première fois que j’entends un tel argument », s’estomaque Me Bouzrou. « À quoi servirait le tribunal s’il fallait être certain de la culpabilité d’un prévenu avant de juger une affaire ? »

Soutenu par une association d’habitants de Courbevoie, la LDH et Amnesty International, l’oncle d’Abou Bakari Tandia se dit déterminé, si besoin, à se pourvoir en Cassation, ou même à recourir à la Cour européenne des droits de l’homme. « Tant que je serai vivant, je continuerai à me battre pour mettre un mot sur cette mort, connaître sa cause »,  raconte Souaibou Doucouré.

La cour d’appel de Versailles rendra son arrêt le 12 mars 2013.

Société Police / Justice
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