Le « Sentier » chinois du XIe

Dans ce quartier parisien, le commerce de proximité s’est raréfié, au profit de grossistes asiatiques. Face aux plaintes, la Ville a réagi.

Olivier Doubre  • 7 février 2013 abonné·es

Quiconque se promène dans le quartier de la mairie du XIe arrondissement de Paris, jadis très « popu » mais aujourd’hui en voie de gentifrication, est tout de suite frappé par la monotonie du décor. Quasiment plus aucune boulangerie, de rares cafés et presque exclusivement des grossistes de prêt-à-porter. Tous chinois ou presque, employant livreurs et hommes de peine, la plupart pakistanais, armés de diables chargés de gros cartons de textiles. Seules quelques banques jouxtent leurs enseignes, aux noms anglophones souvent mal orthographiés.

La légende veut qu’une première famille chinoise de grossistes, surnommés les « Ewing » comme celle de la série télévisée Dallas, se soit installée à la fin des années 1980 et ait fait fortune, bientôt suivie par d’autres compatriotes qui rachetèrent un à un, au cours de la décennie 1990, leurs pas-de-porte aux artisans et commerçants proches de la retraite. Sans que la mairie n’y prenne d’abord garde. Mais, en 2003, le maire chevènementiste du XIe, Georges Sarre, lance une campagne contre cette « mono-activité ». Si les élus évitent de stigmatiser directement l’immigration chinoise, certains riverains n’hésitent pas à dénoncer un nouveau « péril jaune », l’envahissement d’un quartier. Même si le phénomène des mono-activités touche également d’autres quartiers parisiens – sans que les Chinois ne soient en cause. La Ville de Paris décide alors d’intervenir par le biais de sa Société d’économie mixte pour l’aménagement de l’Est parisien (Semaest)… dont Georges Sarre prend la présidence en 2004.

Dans certains quartiers, les importantes sommes en liquide transportées par les Chinois suscitent des interrogations. Est-ce de l’argent sale ? Il peut en effet parfois s’agir de blanchiment, mais cette manie des billets trouve surtout sa source dans des habitudes culturelles et clandestines. En Chine, l’usage du liquide est bien plus important qu’en France, et le recours à la carte bancaire ou au chéquier assez rare. C’est également un effet de la clandestinité, puisqu’il n’est bien sûr pas question pour le travailleur au noir de recevoir un virement sur un compte et une fiche de paie.

Le rachat de commerces, notamment de bars PMU, dont le montant est versé en une seule fois, est tout autant commenté. D’où vient l’argent ? Certains financent l’ouverture de leur commerce grâce au système dit de la « tontine », forme d’emprunt tournant entre plusieurs membres de la communauté. D’autres reçoivent les financements d’investisseurs chinois, qui attendent un retour avec intérêts. Une circulation d’argent souvent officieuse qui alimente l’imagination et les spéculations, fondées ou non, sur les réseaux de blanchiment d’argent.

La Semaest lance le programme Vital’Quartier, chargé de lutter contre l’accroissement des mono-activités dans les quartiers parisiens. Entré dans une deuxième phase en 2008, sous la direction de Philippe Ducloux, conseiller de Paris, ancien premier adjoint de Georges Sarre et toujours élu du XIe arrondissement, ce programme consiste à racheter ou à louer directement les locaux commerciaux pour ensuite s’assurer de leur affectation et veiller à la réimplantation de commerces de proximité. Avec un succès mitigé, en dépit de la fierté de son président pour « les 439 locaux dont la Semaest a pris le contrôle [soit plus de 50 000 mètres carrés], dont 154 dans le XIe [21 867 m2] ». Philippe Ducloux affirme avoir aujourd’hui « de très bons rapports avec les commerçants chinois du XIe » et dément la rumeur persistante qui voudrait que la mairie d’arrondissement joue un double jeu en se plaignant de la mono-activité des grossistes tout en leur louant les boutiques. Ce qui, de fait, apparaît faux.

Toutefois, l’impact de Vital’Quartier paraît in fine assez limité dans ce bout du XIe, à la différence sans doute du quartier voisin autour du square Maurice-Gardette, où sont réapparus les commerces de proximité. Il semble surtout que la mairie et la Semaest aient simplement réussi à interrompre l’extension des grossistes chinois et maintiennent aujourd’hui un statu quo. Dans une certaine discrétion, puisque ni les élus du XIe ni l’association des commerçants chinois n’ont souhaité répondre à nos questions.

Temps de lecture : 3 minutes