Les paysages sacrifiés au nom de l’immobilier

Des mesures destinées à favoriser la construction inquiètent les associations de protection de la nature.

Claude-Marie Vadrot  • 11 avril 2013 abonné·es

Les élus locaux en rêvaient, le gouvernement Ayrault l’a fait : sous couvert de «   simplification administrative », les normes et garde-fous environnementaux vont subir un sérieux coup de rabot. Cette « simplification » complète parfaitement la réforme sarkozyenne. Non abrogée par le gouvernement actuel, elle prive progressivement les petites et moyennes associations de leur agrément « environnement », qui leur permettait d’agir en justice contre les atteintes aux milieux naturels mais aussi de siéger dans des commissions sur la protection de l’environnement. De fait, ces associations sont considérées comme des obstacles aux exigences des élus territoriaux, des aménageurs et des préfets. Ainsi, l’Association des journalistes pour la nature et l’environnement, fondée en 1969, vient de perdre son agrément. Eaux et rivières de Bretagne, qui lutte contre toutes les pollutions, notamment par le nitrate, n’est pas certaine de retrouver le sien. Ce qui l’empêcherait de se porter partie civile contre les pollueurs bretons.

Sous couvert de faciliter la construction, les points 1 et 4 des vingt premières mesures, publiées par le gouvernement le 21 mars, sont révélateurs du coup d’arrêt donné à la préservation des milieux naturels. Ils visent à supprimer «   un certain nombre de freins à l’aboutissement des projets de construction de logements   ». Comme si le manque de financement n’était pas le premier obstacle ! D’autant qu’il est précisé plus loin qu’il s’agit de « lutter contre les recours malveillants et de sanctionner les recours abusifs   ». Ces notions seront définies par ordonnance, c’est-à-dire sans contrôle parlementaire, après le vote d’une loi-cadre fin avril. Certes, on voit parfois des procédures devant les tribunaux administratifs qui visent à « écarter » le plus longtemps possible les HLM de certaines banlieues ou de quartiers huppés. Mais l’immense majorité des recours introduits par le milieu associatif ne vise que l’intérêt général, la limitation du mitage et la disparition des terrains agricoles ou d’espaces boisés à proximité des villes. Surtout, ce premier train de dispositions prépare d’autres mesures permettant de limiter les études d’impact et d’alléger les évaluations environnementales liées aux enquêtes d’utilité publique. Discrètement, des instructions ont d’ailleurs été données aux tribunaux administratifs, leur enjoignant de faire preuve de sévérité. Ainsi, Île-de-France Environnement et deux de ses associations viennent d’être sanctionnées par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour leur opposition à la mise en quatre voies d’une route le long de la Seine sur les territoires de Meudon, de Sèvres et d’Issy-les-Moulineaux. Non seulement elles ont été déboutées, mais elles devront verser 12 500 euros au conseil général des Hauts-de-Seine. Ce qui provoque la colère de leur président, Michel Riottot : « Ce projet est inutile, il va entraîner le bétonnage de la berge. C’est le signal d’une tendance à sanctionner un milieu associatif qui n’a d’autre objectif que de préserver l’environnement. Je crains que Paris Métropole ne se construise sur ce principe, même si Cécile Duflot le dément vigoureusement. »

Pierre Athanaze, président de l’Association pour la protection des animaux sauvages, exprime les mêmes craintes : « Les lois de protection du littoral et de la montagne risquent d’être bafouées au nom de la simplification. Cela nous inquiète d’autant plus que l’opinion publique ne retient que le mot “simplification” sans mesurer les risques. » Au congrès de France Nature Environnement (FNE), qui se tenait les 4 et 5   avril à Clermont-Ferrand, les mêmes inquiétudes ont été exprimées, et la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, a été interpellée sur ce que le porte-parole de FNE, Bernard Hartmann, appelle une « dérégulation dangereuse ». « Nous sommes très inquiets de constater que le gouvernement s’apprête à céder à tous les lobbies. Ils nous trouveront en travers de ce chemin », poursuit-il. Pourtant, cette fédération d’associations a officiellement appuyé les vingt propositions qui inquiètent ses propres membres. Contradictions d’une fédération forte de ses trois mille associations, coincée entre sa puissance et sa volonté de négocier avec les politiques.

Écologie
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