Quel cap pour « la Provence » ?

Repris par Bernard Tapie, le quotidien a vu arriver Olivier Mazerolle à sa tête. La rédaction, qui attend la présentation d’un projet éditorial, manifeste son appréhension.

Jean-Claude Renard  • 11 avril 2013 abonné·es

En décembre dernier, après que la proposition du groupe belge Rossel avait été écartée, Bernard Tapie, associé à Philippe Hersant, acquérait pour 51 millions d’euros, et à hauteur de 50 %, le pôle sud du Groupe Hersant Média. Un groupe comprenant Var Matin, Corse Matin, Nice Matin et le quotidien plus en vue la Provence, né de la Résistance et du socialisme. Un quotidien souffrant d’une perte estimée à 215 millions mais fort d’environ 700 salariés, dont près de 200 cartes de presse, et de 17 agences, au-delà de Marseille, à Vitrolles, Avignon, Salon, Aix ou encore Arles, Dignes et Cavaillon. Pour une diffusion moyenne de 130 000 exemplaires.

Pour les plus anciens de la rédaction, ce sont d’abord de vieux souvenirs qui remontent et les relations conflictuelles avec Tapie quand celui-ci était député des Bouches-du-Rhône ou président de l’OM. « Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? »  : cette phrase en disait long sur la perception des journalistes par Tapie. Reste qu’en décembre il devenait patron de presse. Dans la perspective des municipales à Marseille ? L’homme d’affaires s’en défend. Et a promis de remettre ses parts si l’aventure le tentait. Dans la foulée de cette reprise, une société des journalistes a été créée (attirant 70 % de la rédaction), révélatrice d’une certaine appréhension. À peine en place, Tapie manifestait encore son goût pour la formule : « Je ne vais pas augmenter les journalistes pour qu’ils aillent se payer des putes ! »  ; « La Marseillaise [son concurrent direct] est le mieux fait de toute la région. Il est intelligent, bien écrit, bref, je voudrais que les miens soient comme ça. » Tapie en était presque à offrir à son personnel le Journalisme pour les nuls. « Jamais un patron n’avait piétiné de la sorte une entreprise qu’il a promis de redresser », avait riposté la rédaction. On appelle ça une drôle d’ambiance.

Après un audit lancé par Patrick Le Lay (mais quid de cet audit ?), Tapie débauchait en mars Olivier Mazerolle de BFM TV pour lui confier la direction de la rédaction de la Provence (Ruth Elkrief a refusé de rejoindre le titre). Mazerolle, un gamin de 70 ans, un homme de radio (Europe 1, RMC, RTL) et de télévision (démissionné de France 2 après avoir annoncé au JT le retrait de la vie politique de Juppé quand celui-ci disait le contraire en même temps sur TF1 – c’est ballot). Un homme dont les éditoriaux politiques usent d’un phrasé à la fois populaire et populiste. Mazerolle a pris ses fonctions le 2 avril, en directeur de la rédaction et de la publication. Il s’est donné deux mois pour circuler et comprendre ce qu’est un quotidien régional avec douze éditions. Avant de soumettre ses idées à l’ensemble de la rédaction, dont le souci est de « conserver sa liberté de parole au sein d’un journal de proximité », estime Serge Mercier, délégué SNJ au comité d’entreprise. Dans un département qui additionne les lourdes mises en examens (Guérini et Cie) et les personnalités influentes (de Tapie à Gaudin), « en période électorale, ce ne sera pas facile », admet un journaliste, sous couvert d’anonymat. Et mieux vaut maintenant « éviter de sortir la tête du rang ».

Pour l’heure, on attend donc « un projet éditorial ». Bernard Tapie compte investir dans l’événementiel et le développement du site. Sur ce volet, Tapie fils est annoncé, « mais on ne sait pas à quel poste », observe Serge Mercier. En attendant, la rédaction procède par tâtonnements, et se garde bien de s’exprimer. Dans les coulisses, « on craint pour son emploi » et l’on s’interroge sur ce nouvel intérêt de Tapie pour la presse écrite. Aujourd’hui, la direction refuse d’ouvrir la clause de cession qui autoriserait les journalistes à partir avec des indemnités, alors que « le changement d’actionnariat est important », rappelle Serge Mercier (ce qui permet précisément d’ouvrir cette clause). Une clause « aux conséquences simples : un certain nombre de confrères vont la saisir. Dans ce cas, il faudra les remplacer ». Après son rachat, Tapie avait également déclaré qu’ « un journal doit être attentif à aider les élus à réussir », ou encore que « le boulot des journalistes n’est certainement pas de créer des contre-pouvoirs ». Ceux qui remplaceront les partants savent à quoi s’attendre. Ceux qui restent aussi.

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