Julien Sorez : « Football : Un contraste entre argent et frustrations »

Julien Sorez analyse les violences advenues le 13 mai au Trocadéro, lors de la cérémonie célébrant le titre de champion du PSG.

Olivier Doubre  • 23 mai 2013 abonné·es

Julien Sorez connaît bien les problématiques qui traversent le monde du football parisien. À l’École normale supérieure, il anime avec le sociologue Stéphane Beaud un séminaire de recherche sur ce sport dans les banlieues. Selon lui, les événements du Trocadéro s’expliquent en partie par la fracture socio-économique de notre société.

À qui et à quoi sont attribuables les violences au Trocadéro lors de la cérémonie de remise du titre de champion de France au PSG ?

Julien Sorez :  Les événements du 13 mai renvoient à un emboîtement complexe de causalités et d’acteurs. En premier lieu, la politique menée depuis plusieurs années par les dirigeants du Paris Saint-Germain contre le supportérisme organisé, accusé d’être le principal responsable de débordements récurrents dans et autour du stade. À cette tension autour du PSG s’ajoute le problème lui aussi rémanent de l’organisation et de la bonne gestion de ces grandes manifestations qui investissent la place publique de la capitale. Cette dimension est d’autant plus importante que, parmi les supporters rassemblés place du Trocadéro, il y avait les groupes d’ultras dissous, interdits de stade et considérés avec défiance par les pouvoirs publics et la direction du club. L’enjeu de l’appropriation de l’espace public est alors d’autant plus important que le stade leur est désormais interdit. Enfin, la popularité et la médiatisation du football dans nos sociétés sont un réceptacle potentiel des frustrations de toute sorte. Elles transforment brutalement la fonction sociale du sport, qualifiée par le sociologue Norbert Elias de « libération contrôlée des émotions ».

Comment analyser ces violences au regard de l’histoire du club ?

Le point de départ en est le plan de l’ancien président du club, Robin Leproux, qui, de concert avec les pouvoirs publics, a désigné le supportérisme organisé des « ultras » comme le principal fauteur de troubles. Ont alors été dissous les deux principaux groupes de supporters de la tribune de Boulogne et d’Auteuil. À cette politique répressive s’ajoute la nouvelle politique qatarie, avec le placement aléatoire, la promotion des matchs comme un spectacle respectable et familial, et l’augmentation du prix des places. Ces mesures tendent à faire du supportérisme organisé par les groupes ultras une « parenthèse » dans l’histoire du club. Il est pourtant fortement associé à l’histoire et à l’identité du PSG, qui s’est constitué, dans sa forme actuelle, en 1970.

Comment analysez-vous le fort sentiment d’appartenance des supporters du PSG à leur club ?

Les enjeux de cette question, ancrés dans le contexte sportif parisien, sont également à replacer dans le clivage entre le supporter et le spectateur de football, le second s’étant pour partie substitué au premier dans l’enceinte du Parc. Le supporter, qui consacre une part de son identité et de sa vie à son club, revendique d’être un acteur à tous les niveaux. Les supporters qui se reconnaissent dans cet engagement se considèrent comme des représentants historiques du club. Et leur attachement au PSG est souvent bien plus ancien que les équipes dirigeantes, portées au pouvoir par des investisseurs étrangers à l’histoire du club. À cette figure du supporter s’oppose celle du spectateur, qui est avant tout un consommateur d’une manifestation culturelle donnée, et qui vient certes pour encourager son équipe, mais aussi pour voir du beau jeu, du spectacle. C’est à ce public-là, capable de consacrer un budget important à l’entrée au stade et à l’achat de produits dérivés, que les investisseurs qataris s’adressent en achetant des icônes mondiales du football aux allures de mercenaires. La stratégie de fidélisation d’un nouveau public entreprise par le PSG n’est d’ailleurs que le décalque de ce qui a été mis en place dans d’autres pays. Cela a été le cas en Angleterre, comme à Old Trafford, à Manchester, où les hooligans ont été chassés des tribunes pour être remplacés, grâce aux interdictions de stade et à l’augmentation considérable du prix des places, par des spectateurs appartenant aux classes aisées. Dans le stade, un public assis, qui ne pousse son équipe que par intermittences, s’est substitué aux groupes de supporters aux chants continus, toujours debout, qui coloraient les tribunes du Parc.Par la prise de possession sonore et visuelle d’une partie du stade, ceux-ci ne faisaient pas que pousser une équipe à laquelle ils s’identifiaient bien souvent. Ils défendaient aussi leur territoire. C’est cette volonté de reprendre l’espace et l’histoire en cours du club qui peut expliquer une partie des tensions au Trocadéro.

À quoi s’identifient ces jeunes supporters (ou non-supporters, d’ailleurs) ? Les joueurs millionnaires sont-ils pour eux des « totems » d’un type nouveau ?

Les événements du Trocadéro contrarient fortement la portée symbolique de la victoire sportive du PSG version qatarie. L’image la plus saisissante de cette soirée, selon moi, est l’écran de fumée qui sépare les joueurs en train de célébrer leur victoire sur le podium et les heurts du parterre où sont mélangés supporters, spectateurs et casseurs qui se sont invités à ces agapes sportives. L’incommunicabilité entre le football professionnel et le reste de la population rend ces scènes de fusion de plus en plus problématiques. Notamment par le contraste entre, d’un côté, l’argent investi et généré par un club comme le PSG et, de l’autre, les frustrations que le chômage et la relégation sociale et spatiale produisent en ces temps de crise économique. Cette fracture socio-économique explique en partie le fait que le mécontentement contextualisé des ultras (qui, privés de banderoles au Trocadéro, s’en prennent aux stadiers du PSG puis aux forces de l’ordre) rencontre celui d’individus qui éprouvent eux aussi ce sentiment de frustration au quotidien. Parmi ces casseurs spontanés, on retrouve beaucoup de jeunes banlieusards, aux ressources sans doute insuffisantes pour se payer le luxe d’aller au Parc des Princes ou de s’offrir un abonnement à la télévision payante BeIN Sport. La leçon de cet épisode est que le PSG version qatarie est condamné à célébrer son titre dans cette nouvelle prison dorée qu’est le Parc des Princes… qui n’a jamais aussi bien porté son nom !

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