Le Ravi : joyeusement insoumis

Entre enquête et satire, ce mensuel cultive depuis dix ans son insolence en Provence-Alpes-Côte d’Azur. En toute indépendance, dans une région où la presse est largement inféodée aux pouvoirs locaux.

Jean-Claude Renard  • 23 mai 2013 abonné·es

Cela fait partie des curiosités de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : la disparition des terres fertiles grignotées par l’urbanisation et la spéculation. Les terrains agricoles pèsent seulement 29 % dans la région. Mais, parallèlement, l’agriculture biologique représente 13,3 % de la surface agricole utile (SAU), contre 3,6 % pour la moyenne nationale. Les surfaces certifiées sont passées de 52 000 hectares en 2008 à 81 000 en 2011. Tandis que la plateforme ProNatura (140 salariés), installée à Cavaillon, s’est imposée en leader européen des fruits et légumes bio, se fournissant au Pérou, au Togo ou en Espagne, chez Bionest, cultivant le bio intensif, sans respect pour la biodiversité ni pour sa « main-d’œuvre étrangère qu’elle précarise ».

Ce sont là quelques paradoxes déclinés dans le dernier dossier du mensuel le Ravi, consacré à la malbouffe. Dans ce même numéro, on trouve une excellente enquête à Aix-en-Provence, dans la perspective des municipales, sur le parachutage d’une « inconnue » du FN, Catherine Rouvier, pour s’emparer d’une ville où l’édile en place, Maryse Joissains (UMP), a déjà « contribué à l’acceptabilité du discours FN ». Un peu plus loin, on lit que depuis la publication, voilà un an, du décret de création du parc national des Calanques, débarquer au château d’If, au large de Marseille, est « normalement interdit ». Ce qui n’empêche pas les touristes d’emprunter la navette du Frioul pour gagner le site. Tandis que le décret est aussi dans le collimateur des chasseurs, plaisanciers et autres amateurs de jet-ski. Ailleurs encore, un papier pointe l’ouverture d’une nouvelle école de croupiers à Marseille, la Cerus Casino Academy, dans une région comptant pas moins de 45 casinos. Dix semaines de formation au prix de 4 400 euros. Salaire net à venir : 1 350 euros, pour, rappelons-le, un travail de nuit. D’un article à l’autre, on perçoit l’état d’esprit de ce mensuel, qui fêtera ses dix ans cet été. Déjà une éternité pour un titre emprunté à la légende provençale, le ravi étant au cœur de la crèche, parmi les santons, les bras levés au ciel, l’idiot du village. Un titre tiré à 5 000 exemplaires, diffusé en région Paca, toujours sous un format A3 de 28 pages, doté aussi d’un site Internet, comptant sept salariés, et créé, à l’origine, non par des journalistes mais des sociologues, urbanistes, universitaires, jeunes chercheurs, interrogeant volontiers la démocratie dans ses volets territoriaux, en quête de presse alternative.

Agrémenté de dessins de presse, un titre qui, observe son rédacteur en chef, Michel Gairaud, « conserve les fondamentaux d’une profession : l’investigation et l’enquête. Un journalisme qui refuse la révérence, à distance de tous les pouvoirs, au milieu d’une baronnie locale très puissante ». En traitant du local sans se cantonner au clocher. À l’instar de cette rubrique, judicieuse et vivante, testant chaque mois un conseil municipal en région Paca pour surveiller « le fonctionnement de la démocratie locale ». Ce mois-ci, c’est à Sanary-sur-Mer, ville administrée par Ferdinand Bernhard (sans étiquette, ex-MoDem), rapportant les débats, ses décisions et son atmosphère. Où l’on apprend que la chorale reçoit une subvention de 300 euros, contre 50 000 pour l’école de musique. Mediapart avait d’ailleurs ouvert le bal, dès avril, sur la gestion « innovante » du maire. Aujourd’hui, le Ravi peut se targuer d’être le seul mensuel régional qui n’appartient pas à Tapie, associé au groupe Hersant, à ce « mélange d’affairisme, d’argent public et privé, cette instrumentalisation des médias à des fins politiques, dans une région où, traditionnellement, depuis Gaston Defferre, la presse est inféodée », poursuit Michel Gairaud. Insoumission, donc. En témoigne la rubrique « Poids lourd » de ce n° 107, le Ravi croquant « à pleines dents une personnalité qui présente une surcharge médiatique ». Cette fois, le projecteur s’est braqué sur Gary Klesch, « pilleur de tombes », affairiste néolibéral. « À l’image de Tapie dans les années 1980, Klesch est un spécialiste du dépeçage des entreprises en difficulté. Dernière victime : Kem One, ses 700 emplois en Paca et l’avenir de la pétrochimie autour de l’étang de Berre. » Un portrait au diapason du journal. Lucide et vigilant. Bravement irrévérencieux et indépendant.

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